Nous savons les passions qui peuvent naitre des débats autour des questions agricoles. Ce texte tente de porter une voix à la fois nourrie des réalités du rural, d’agriculteurs du CMR, mais aussi de nos liens avec le CCFD-Terre Solidaire, la FIMARC1 , Solidarité Paysans, et la pensée sociale de l'Eglise, en forme de réponse au sursaut appelé par le Pape François dans l’encyclique Laudato si’, ainsi qu’à la crise de l'agriculture.

Cette crise n’est pas que conjoncturelle. Le CMR constate depuis de nombreuses années, les inégalités et incertitudes croissantes, la précarité, l’isolement, le désespoir d’agricultrices et d'agriculteurs étranglé-e-s par les dettes, la perte de sens d’un métier pourtant indispensable à la société, la multiplication des suicides. Il convient de s’attaquer tous ensemble à ses causes profondes.
Le fonctionnement actuel de notre système de production agricole est fondé sur un principe de dérégulation qui engendre un appauvrissement du tissu rural et humain, et des atteintes aux valeurs qui nous réunissent.
L'accès de chaque homme à ce qui est nécessaire pour vivre dignement (justice sociale)
Des agriculteurs sont dépossédés de la valeur ajoutée de leur production, au profit de groupes et coopératives fournisseurs d’intrants, d’entreprises de transformation et de la grande distribution. Les petites et moyennes exploitations, bénéficiant de subventions publiques bien inférieures à celles des grandes, ne résistent pas à l’effet combiné de la volatilité des prix d’un marché dérégulé, et de l’endettement pour tenter de répondre au mot d’ordre de compétitivité. Dans le même temps, les paysans du Sud, incapables de concurrencer les importations subventionnées des pays du Nord sont contraints d’abandonner leur activité.
La participation de chacun aux décisions qui le concernent
Certaines coopératives, autrefois organisations de producteurs destinées à défendre leurs intérêts collectifs, se sont inscrites dans la dynamique globale de concentration et d’internationalisation des acteurs économiques, et dotées d’une organisation complexe laissant peu de place aux adhérents pour participer aux décisions qui les concernent.
La destination universelle des biens et le respect des biens communs : la terre, l'eau, l'air...
 Le fonctionnement des outils de régulation de la politique foncière (SAFER…) est régulièrement détourné par les lobbies locaux ou nationaux, conduisant à un agrandissement incontrôlé des structures, et constituant un obstacle souvent insurmontable à l’installation de jeunes agriculteurs. La privatisation du vivant par les brevets sur les semences et séquences génétiques prive les agriculteurs de leur droit ancestral à réutiliser leurs semences et réduit la biodiversité. La persévérance à développer des systèmes agricoles fondés sur des modèles scientifiques et économiques obsolètes 2 appauvrit la vie des sols, la biodiversité, et génère d’importantes pollutions qui touchent en premier lieu les agriculteurs.
Le respect de la dignité de chaque homme
Des exploitations intégrées au marché mondial aux petites fermes autonomes, il y a des agriculteurs heureux. Mais, comme nous le rappellent les manifestations de colère mais surtout la multiplication des drames humains et l’accroissement du taux de suicides, beaucoup ne le sont pas. La précarité qui touche les agriculteurs aujourd’hui est sans précédent. Ceux qui produisent à perte doivent vivre avec la conscience de travailler dur pour moins que rien. La pensée sociale de l’Église nous incite à agir en priorité aux côtés des plus fragiles. Or ceux-ci ne sont pas ceux que l’on entend exprimer leur ras-le-bol au journal télévisé, pas plus qu’ils ne seront présents au salon de l’agriculture.
Ce que nous proposons : bâtir ensemble une éthique pour une culture agricole et rurale soucieuse de la gestion du milieu vivant pour le bien de l’humanité, dans le respect du bien commun, de sa richesse et sa diversité  
Nous partageons les orientations de l’encyclique Laudato Si’ en vue d’une société socialement équitable, attentive à la dignité de tous et respectueuse de la terre, «notre maison commune». Répondre à son appel implique un changement de cap, dans lequel l’agriculture et le monde rural ont un rôle fondamental à jouer.
Pour cela, le CMR en appelle à la responsabilité :
Des consommatrices et consommateurs que nous sommes tous, pour nous interroger sur les conséquences de nos façons de consommer sur les producteurs d’ici, d’ailleurs, et sur la nature.
Des agricultrices et agriculteurs pour s’interroger sur les conséquences de leurs façons de produire, de valoriser et de vendre, sur les autres et sur la nature.
Des organisations agricoles et para-agricoles pour mettre en place des moyens humains pour accompagner les agriculteurs dans le changement de leurs pratiques culturales.
Des organisations coopératives en particulier, pour retrouver le sens de la solidarité qui les a fait naître, redonner une vraie place aux producteurs, et les soutenir dans le développement de nouvelles formes de coopération leur permettant de se réapproprier leur outil de travail et de retrouver de l’autonomie dans leurs choix.
Des transformateurs et distributeurs pour rendre à leurs fournisseurs la part de la valeur ajoutée qui leur revient (prix juste).
Des pouvoirs publics pour assumer le rôle de régulateur garant du bien commun qui leur incombe, notamment par la mise en place d’outils d’ajustement de la production permettant une juste rémunération des producteurs, une politique foncière basée sur le reconnaissance du sol comme bien commun, un soutien à l’installation des jeunes et une fiscalité favorisant l’emploi plutôt que la capitalisation des biens, un soutien à une commercialisation en circuits courts favorable à la viabilité du territoire.
De la société civile qui a un rôle à jouer pour inciter et soutenir les pouvoirs publics à agir en ce sens et expérimenter de nouveaux systèmes de production, de transformation et de commercialisation à taille humaine, soucieux d’offrir des conditions de travail dignes et épanouissantes à ceux qui en vivent, de faire alliance avec la nature plutôt que de l’exploiter, de contribuer au vivre-ensemble de chacun-e sur le territoire.

TEXTES DE RÉFÉRENCE : « POUR UNE ÉTHIQUE AGRICOLE ET RURALE », CMR, 2015 « LES CHEMINS DES POSSIBLES. PROPOSITIONS D’ENGAGEMENT », AGIR EN RURAL N°101, 2015 CMR - Chrétiens dans le monde rural 9, rue du général Leclerc - 91230 MONTGERON 01 69 73 25 25 - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - http://cmr.cef.fr/