Frère Jacques a écrit ses souvenirs d’enfance et de jeunesse…

Son frère, René DENTIN, en a lu quelques extraits à l’assemblée des obsèques…

Au début de ce mois, lors d’une visite où Jacques avait encore une parole, mais très affaiblie, il évoquait un nom aimé de notre jeunesse. Je lui ai dit « tu replonges dans ton enfance », il m’a répondu « Elle ne m’a jamais quitté ».C’est cette enfance que je vais évoquer avec les mots de ses souvenirs et les noms des êtres qui lui étaient si chers.

Il a écrit :

Avant même ma naissance, j’ai appris que j’avais été aimé, désiré et confié à Dieu.

Cousine Berthe, la marraine de maman, est liée à mes plus vieux souvenirs religieux, sinon mes premières émotions spirituelles. Je l’accompagnais le soir, lorsqu’elle se rendait en visite au Saint-Sacrement. Elle s’arrêtait au 1er banc du fond de l’église, et de là, je voyais briller la petite lampe rouge du sanctuaire. Tout cela m’ouvrait à un univers mystérieux qui me fascinait et je pense l’avoir accompagnée sans réserve dans cette dévotion quotidienne.

Marraine, la tante de maman, a été pour moi la vraie grand-mère, toujours présente, attentive, ne me refusant rien ou extrêmement rarement. C’est à elle que je dois l’essentiel de mon initiation à la prière personnelle. Le soir Marraine nous couchait et elle se mettait à genoux au bord du lit pour dire avec nous « Notre Père », « Je vous salue Marie », « les Actes » .

Mon grand-père, « Papa Médée », avait fait la guerre 14-18. A 90 ans, il en faisait encore des cauchemars de cette folie suicidaire de l’Europe. Il avait les valeurs d’honnêteté, de droiture, de courage, du travail fait avec amour et intelligence sans oublier une foi commune, sincère et solidement enracinée dans la vie. Il n’aurait pas supporté la moindre malhonnêteté. Il avait un grand amour de la terre, une vraie joie à bien la travailler. J’oserais penser qu’il me l’a transmis et je lui en suis profondément reconnaissant entre autres choses.

Enfant, c’est avec Maria que je vivais tous mes loisirs à la ferme. Comme j’aimais passionnément les bêtes, le jeudi j’allais avec elle « gratter » l’étable quand elle sortait le fumier, je l’accompagnais pour conduire les vaches en pâture, elle m’a appris à jardiner, à semer, à repiquer, en suivant les saisons. J’allais traire avec elle et dès 8 ans, elle me réservait les vaches les plus faciles et les plus douces. Elle avait une foi profonde : cet échange avec elle a duré 72 ans.

La 1ère fois où j’ai quitté Bourseville, la maison familiale et tout l’environnement rural dans lequel j’ai grandi, ce fut pour « aller en pension » chez les jésuites à la Providence, puis à Sailly-Flibeaucourt avec les « Frères des Écoles Chrétiennes ». J’ai eu beaucoup de mal à m’habituer à cette vie collective. J’ai un bon souvenir du travail scolaire demandé et sans m’en rendre compte j’avais été bien préparé par les instituteurs de Bourseville, Mr Leroy, père de Maryse, qui sera déporté en 1944 et Mme Dufrien.

Après le brevet, j’avais 16 ans, le retour à Bourseville s’est vécu dans un enthousiasme fou. J’étais tellement heureux de commencer à travailler sérieusement et de prendre ma place à la ferme surtout pour tout ce qui concernait l’élevage.

Le grand initiateur de mon engagement à la JAC fut Pierre Delabie, mon aîné de 4 ans et qui devint aussi un grand ami. D’emblée, il s’est situé dans une optique de responsabilité missionnaire : "Tu as beaucoup reçu au plan de la foi, durant tes années de formation dans l’école chrétienne, tu dois maintenant penser à partager avec les autres"

Le congrès de la JAC à Paris fut le grand événement marquant de ma jeunesse. J’avais juste 18 ans, l’âge minimum requis. Il a duré 3 jours. Quelle ambiance partout dans les lieux de Paris où nous nous retrouvions !, entre autres bien sûr le parc des princes archi-bondé de jeunes enthousiastes, reconnaissables à leurs foulards, sinon aussi par leur origine provinciale.

Pour mon service militaire, Je pense avoir compris assez vite que si on ne voulait pas avoir trop d’ennuis avec les gradés, il valait mieux ne pas se faire remarquer ni pour les horaires, ni pour la tenue ; pas d’excès de zèle. A la fin du peloton, plusieurs ont été nommés «  sergent ». Je suis sorti « caporal-chef », avec la mention : « Bon élément, manque de dynamisme ». La constatation me semblait assez juste...

-------------------------------------------------------------------------------

N.B. : Je laisse ici les souvenirs de Jacques pour ajouter les miens…

Quand Jacques parle de son enthousiasme fou de commencer à travailler sérieusement après le brevet, ( il a oublié de préciser qu’il était le seul reçu des 14 candidats présentés par les Frères à la dernière mouture du BE en 1948), je peux en témoigner : je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi efficace, organisé, rapide dans son travail, sauf Maria et Papa Médée. Il assurait tout le service de l’élevage, la traite, l’affouragement, le nettoyage. Dès six heures le matin, on entendait les brocs de lait s’entrechoquer…

Avec les jeunes de la JAC, les préparations des fêtes de moisson, des coupes de la joie, toutes ces activités occupaient le peu de loisirs restant en prenant même beaucoup sur le temps de sommeil. Mais le lendemain matin, quelle que soit l’heure de son retour de réunion en vélo ou derrière la moto de Pierre Delabie, à six heures pile, la journée de travail recommençait au même rythme…

Sa foi était si profonde avec une attirance mystique que j’étais persuadé qu’il rentrerait dans la vie religieuse. Sa décision de reprendre ses études pour être prêtre coïncidait avec notre mariage. Jacques était si bien intégré et reconnu dans le monde paysan que la nouvelle marqua le village. Je revois le vétérinaire dire, un jour qu’il soignait une vache, Jacques tenant la patte arrière avec un bâton serrant une longe torsadée: « Eh bien, les Frères font une sacrée recrue ! » ; en me regardant, je voyais clairement qu’il pensait : " et vous, vous allez être dans une sacrée panade ! "

Les Frères missionnaires des campagnes sont devenus sa deuxième famille…