Jeanne.Lecerf.illustration.  

   Jeanne, notre tante    

Notre propos n’est pas de parler ici de ta vocation et de la longue route que tu as choisie dès ta jeunesse en  tant que Sœur des Campagnes : tu t’y es investie de tout ton être et  épanouie. Ta vie se résumait pour nous en ces maîtres- mots : humilité, douceur, fidélité sans faille, compassion et bienveillance.

Ce qui, enfants, nous questionnait, c’était ta tenue de religieuse étrange à nos yeux, préservant ta beauté : beauté de ta photo de jeune fille féminine qui est restée en permanence chez nos grands -parents, qui me questionnait et  que je ne me lassais pas de contempler : coiffure  à la mode de  l’époque, comme on  la revoit dans certains films, qui te seyait à merveille, cheveux  châtain foncé  mi- longs,  ondulés et par-dessus tout ce regard profond, empreint de gravité et de lumière qui plaçait au second plan ton sourire discret. Je sais bien qu’à aucun moment tu n’aurais aimé m’entendre te dire ces choses. A présent, je le peux.

Geneviève m’a rappelé qu’enfant,  tu fus espiègle et affrontas les foudres de ton père. A maintes reprises et jusqu’à un âge avancé, tu nous relatais ceci : ta punition fut d’être enfermée à la cave dans l’obscurité, te valut ce tempérament un peu inquiet et de nombreux cauchemars. Cependant, grand-père appréciait ton côté « garçon manqué » - il n’avait pas de fils - lorsque tu menais les chevaux de labour et  que tu effectuais les différents travaux saisonniers des champs habituellement dévolus aux hommes. Tes sœurs eurent de préférence des  tâches sensiblement  différentes et  s‘adonnèrent  principalement aux travaux «  de la cour de ferme»,  à la traite des vaches, aux soins de la volaille ou encore à la cuisine avec leur mère.

Il est curieux que nous, ses petites- filles, ayons un regard différent sur ton père : il fut un grand-père doux, aimant et les souffrances de la fin de sa vie se mêlaient aux souvenirs terribles de la guerre 14-18, qu’il nous dépeignait par touches alors qu’il était aveugle : ses cauchemars furent différents des tiens.

Jeanne,  par son regard, son sourire, son naturel  spontané, respirait la vitalité en toute circonstance,  minimisait ses problèmes de santé tel  son  cancer du côlon des années 80. Ensuite,  lors de sa longue maladie, nous avons trouvé intacte sa capacité à s’émerveiller  dans l’Yonne pour  un champ de maïs et la beauté d’un paysage rural. Me revenaient alors les longues discussions qu’elle avait avec ses beaux-frères, avec tous les ruraux qu’elle rencontrait.

A plusieurs reprises, lors d’une promenade dans le parc de la Résidence par exemple, nous avons pesé chacune de tes paroles : « je souffre d’Alzheimer, je l’accepte ».

Voici ce qu’a écrit et lu  Geneviève :

Tante Jeanne,  je  souhaiterais bien sur rappeler ton courage : tu as a toujours travaillé très dur, d'abord dans ta jeunesse à la ferme avec tes parents et tes sœurs ou ensuite en tant que sœur ouvrière. Tu nous parlais souvent des choux que tu allais  couper, du persil qu’il fallait ramasser, des poignets et  des mains fatigués, des doigts parfois réfrigérés, de l’ambiance de travail, de ta façon de t’impliquer avec tes Collègues pour plus de justice et de fraternité. Tu privilégiais  alors  le côté positif des choses,  la joie d'être avec d'autres personnes, de partager le bonheur  et  la détresse. Tu privilégiais aussi la rencontre avec les plus pauvres, pauvres non seulement sur le plan financier mais aussi souffrant du chômage, d’alcoolisme ou sur le plan affectif.
Tu savais t’adapter à de bien différentes situations  et tu faisais parfois office de conciliatrice.

Tu aimais aussi les moments partagés avec les enfants et les adolescents. Tu étais naturellement  très proche de tes petits- neveux et nièces. Un été, alors que tes petites- nièces Aurélie et Stéphanie allaient à la piscine, tu as accepté un maillot de bain déniché de justesse à ta taille afin de les accompagner. Elles en garderont un éternel souvenir.  Bernadette et sa famille ont  aussi vécu ces moments de jeu dans la piscine dans un gîte rural non loin de Gimont : ils avaient choisi ce lieu agréable pour les vacances qui leur permettaient de partager quelques moments avec toi. Ils se souviennent de tes longues marches matinales, seule, aux alentours du gîte et des jeux dans la piscine entre 70 et 80 ans alors que ta maladie s’installait peu à peu.

 Malgré cette maladie dont tu souffres  depuis de nombreuses années, tu as continué à revenir te ressourcer quelques jours dans ta famille par le train, ce qui te demandait des efforts considérables pour ne pas te tromper de ligne. Tu nous expliquais comment tu te  battais pour essayer de stabiliser tes pertes de mémoire.

Tes petites-nièces et petit- neveu  Aurélie, Stéphanie et Florian ne peuvent être présents aujourd'hui mais sont avec nous par la pensée et la prière. Janine, ta nièce la plus jeune, qui  porte ton prénom,  et son mari sont  également de tout cœur avec nous et regrettent de n’avoir pu venir pour raison de santé.

 Pour tes nièces, tu étais la seule personne de la famille encore en vie de la génération de leurs parents décédés.

A présent, tu nous as quittés pour rejoindre Dieu et tous ceux que tu aimes.

 Tu resteras à jamais présente dans nos cœurs et nos pensées.

Bernadette, Geneviève, Michèle et Janine, ses nièces,

Sébastien décédé, Aurélie,  Florian, Stéphanie, ses petites- nièces et petits- neveux.

                               

Voici ce qu’a écrit et lu Michèle :

Je me souviens de la joie que nous ressentions, enfants, quand nous apprenions que "ma tante Jeanne", comme nous disions petites, revenait dans le Nord. C'était un peu la fête et  nous désirions qu'elle revienne plus souvent. Tante Jeanne s'isolait une heure  en fin d’après-midi, pour se recueillir, pour la prière  et j'étais étonnée de la voir s'éloigner ainsi  alors qu'elle restait si peu de temps à nos yeux avec nous. Entre ses parents, ses sœurs et ses nièces, tous les gens qu'elle voulait  ou qui voulaient la retrouver, je crois qu'elle devait se sentir très sollicitée et attendue. Mais elle répondait à un autre appel, celui de sa foi et cela était pour moi très mystérieux.

 Je me souviens avoir eu très peur le jour où petite, nous sommes venus te  voir à Lombreuil avec nos parents,  le dénuement de ta chambre m'a un peu impressionnée. Heureusement la beauté du parc et de la nature dans laquelle tu pouvais te promener me rassurait et me faisait mieux sentir quelle harmonie tu devais ressentir pour prier dans ces lieux.

Nous avons beaucoup d’admiration pour ton engagement au service des autres, qui nous a souvent permis de longs échanges.  Tu nous as toujours offert un regard positif. Ta foi n’était pas un refuge, mais une ouverture vers le monde, loin de ses  futilités et de son tourbillon  .C’est  tout cela qui se dégageait de toi jusqu’au bout.

Tu nous as permis de te rencontrer.

Merci pour l’affection que tu as pu nous donner de si loin.

 Ce que tu nous as transmis ainsi  va continuer d’essaimer.