L’adieu des Sœurs missionnaires des campagnes à leur fondatrice Ghislaine Aubé

Sœur Ghislaine Aubé est décédée le 3 juillet 2011. Elle avait fondé l’ordre des Sœurs missionnaires des campagnes en 1947.
Rue de Paradis : on ne pouvait trouver meilleur nom pour le lieu où repose désormais la dépouille de Sœur Ghislaine Aubé, à l’écart du village, dans le cimetière en pleins champs de Lumigny (Seine-et-Marne). Sœur Ghislaine Aubé, fondatrice en 1947 des Sœurs des campagnes, s’est éteinte le 3 juillet 2011, à 91 ans.

La petite église de Lumigny – dans laquelle Sœur Ghislaine a reçu les professions des premières religieuses de sa congrégation – est comble, le 8 juillet, pour la messe d’enterrement célébrée par Mgr de Monléon, évêque de Meaux. Près de deux cent cinquante personnes sont présentes : famille de Sœur Ghislaine, Frères et Sœurs des campagnes, laïcs amis. Une vingtaine de prêtres à l’étole pourpre concélèbrent, entourés de membres de communautés proches des Sœurs : moines du Bec-Hellouin, de La Pierre-qui-Vire, bénédictines de Jouarre, prêtres de la Communauté Saint-Martin du Loir-et-Cher. Quelques petits-neveux sont venus rajeunir l’assemblée grisonnante.
Une amitié spirituelle avec le Père Epagneul
Ghislaine Aubé a grandit dans une famille de douze enfants profondément croyante et unie, à quelques kilomètres de là, à Villeneuve-le-Comte. De son père, elle héritera d’un fort idéal chrétien, social et terrien. De sa mère, un idéal missionnaire. Le tout s’incarnera avec l’engagement de Ghislaine dans la Jeunesse agricole catholique féminine (JACF), dont elle deviendra présidente.
Son amitié spirituelle avec le Père Epagneul – qui créa les Frères missionnaires des campagnes – est à l’origine de la fondation de l’ordre féminin. Elle rencontre ce dominicain en 1941. Il est hébergé par ses parents lors d’une mission d’évangélisation au cœur de la Seine-et-Marne rurale. Tous deux partagèrent cette même intuition d’une mission en monde rural. Les familles des Sœurs achèteront une maison de pays en 1948, à Lumigny, village briard de mille cinq cents âmes, pour accueillir la congrégation. Reconnue en 1962, la communauté essaimera en France, et jusqu’en Afrique et au Brésil.

Des membres de la fratrie de Sœur Ghislaine témoignent : l’une, en religion, l’appelait « sa conscience » : « Elle était pour moi un modèle qui m’évitait de faire les bêtises de l’adolescence ». L’un de ses frères rappelle son attention sans relâche pour ses cadets, sa responsabilité des cadets lorsqu’aux heures sombres de 1940, ils furent évacués en Bretagne, ses activités pour la JACF qui lui valurent de passer la ligne de démarcation plus d’une fois.
Elle considérait l’œcuménisme comme fondamental
Pauline, 28 ans, une petite-nièce, explique : « Je me souviens d’un soir où elle me gardait. Elle avait sorti de vieilles photos d’une malle pour me les montrer. Moi qui n’avais pas connu ma grand-mère, je la trouvais d’une grande tendresse et douceur ». Une nièce, Catherine, 64 ans, raconte : « Elle était tellement discrète. Elle n’était pas quelqu’un de captateur. Elle ne voulait pas vous harponner ou vous convaincre, elle s’adaptait toujours à son interlocuteur ».

Pascale, 56 ans, se remémore une tante « qui avait gardé des liens forts avec sa famille, et d’une grande simplicité malgré ses responsabilités de présidente de l’Union des supérieures majeures de France ». Renée, une laïque garde en mémoire ce jour où « j’avais froid, elle l’a remarqué, et a ôté son gilet, sans rien dire, pour le mettre sur mes épaules ». Selon Sœur Jeanne-Dominique, 73 ans, « elle se souvenait des familles de chacune et il était très important pour elle que nous gardions des liens avec nos familles ».
Pour elle, l’œcuménisme était fondamental, et elle correspondait, encore ces derniers jours, via l’Association des chrétiens contre la torture (Acat), avec un prisonnier au Texas qui l’appelait « grand-mère ».

La messe d’enterrement est sobre. À l’image de la vie des Sœurs dans ces campagnes, à la fois contemplatives et apostoliques. Car les Sœurs travaillent, seul moyen de rencontrer les habitants des villages peu croyants où elles se trouvent. Elles participeront aux travaux des champs, puis se rendront dans les usines.
Une vie rythmée par les offices du jour et l’oraison quotidienne
Sœur Ghislaine se sentait appelée à « une vie religieuse, reprise comme à sa source, une vie pauvre, joyeuse, fraternelle, à vivre l’audace que donne l’engagement total à la suite du Christ, la simplicité du dialogue avec tous, le contact direct avec la Parole de Dieu et la liturgie de l’Église ». Elle tenait à « vivre en communautés fraternelles, en s’alimentant à la prière de l’Église et en donnant une grande place à la liturgie. Et ceci, dans le monde rural, là où le Seigneur nous a appelées ».
De fait, la vie des Sœurs est rythmée par les offices du jour et l’oraison quotidienne. Et Sœur Sylvie, 48 ans, de préciser : « Sans ce temps, nous passerions à côté de notre vocation, ce n’est pas voler du temps à la mission que de prier ! Mais c’est un équilibre sans cesse à trouver ».

Pour Sœur Anne, 68 ans, ancienne responsable des novices, Sœur Ghislaine était en avance sur son temps : « Elle emmenait les Sœurs en formation au Louvre, voir des tableaux en lien avec les passages de la Bible qu’elles étudiaient, ou découvrir l’histoire de l’Égypte. C’était inimaginable pour l’époque ! Et elle avait une spiritualité d’Église. Il ne fallait pas que la mission soit uniquement notre petite affaire. Il fallait être insérées dans le diocèse, être avec les autres ».


Poursuive l'élan évangélique de Sœur Ghislaine

Dans ses derniers jours, sur son lit d’hôpital, phase d’ultime dépouillement, elle s’est abandonnée jusqu’au bout, impressionnant ses voisines de chambre. Sur le cercueil dans l’église, des épis de blés de cette terre d’enfance que Sœur Ghislaine aimait tant ont été déposés, ainsi que la règle de vie qu’elle a écrite. Elle précise comment vivre l’Évangile en Sœur des campagnes et comment annoncer la Bonne Nouvelle aux ruraux.

Alors que la communauté est vieillissante, Sœur Sylvie, 48 ans, déplore que le rural soit « délaissé par la présence religieuse, qui se concentre dans les villes. Pourtant il y a dans le rural une vraie pauvreté. Je compte sur Sœur Ghislaine pour de nouvelles vocations ! » Un vœu repris comme un écho par ce témoignage, parmi les nombreux qui ont afflué au prieuré ces derniers jours : « Que le souffle missionnaire de Sœur Ghislaine continue son sillon dans le monde rural et poursuive son élan évangélique dans le cœur de chacun ».
Claire Frangi

Prier 15 jours avec le Père Épagneul, fondateur des frères missionnaires des campagnes, par Sœur Ghislaine Aubé