Sœur Ghislaine Aubé

Aujourd’hui Sr Ghislaine nous rassemble en cette église de Lumigny ; sa famille, les Sœurs et Frères missionnaires des campagnes, les amis. Elle nous rassemble dans la prière et l’espérance que nous donne notre foi au Christ Ressuscité. Elle nous rassemble dans l’amitié et l’affection fraternelle qu’elle a si généreusement partagée. Nous sommes venus lui dire « A Dieu » et rendre grâce pour le don qui nous a été fait en Sœur Ghislaine, pour nos congrégations, pour l’Eglise et pour le monde rural.

Si Sr Ghislaine nous reste toujours bien présente, elle se dérobe désormais à notre regard. Chacun garde en lui-même le souvenir de son visage, de son regard, de son sourire. J’ai pu le contempler encore début mars à l’hôpital de Joigny : un regard accueillant, fraternel et serein ; on y lisait un abandon d’enfant entre les mains du Père. Ces cinq mois de maladie furent l’ultime étape de dépouillement où, paisiblement, elle se préparait à la Rencontre de Celui qu’elle aimait tant et à qui elle avait généreusement fait don de sa vie. J’avais aussi contemplé ses mains amaigries, ses mains qui avaient tant écrit, elles devenaient pour moi comme un symbole de la fécondité de sa vie.

Nous connaissons la vie de Sr Ghislaine, en voici rapidement les étapes.

- Née en 1920 elle a passé son enfance et sa jeunesse à Villeneuve le Comte en Seine-et-Marne au sein d’une famille de douze enfants, famille très chrétienne et ayant une grande ouverture missionnaire.
- Avant ses 20 ans, ainsi que ses frères et sœurs, elle découvre la JAC et la JACF, et, après avoir eu des responsabilités diocésaines dans ce Mouvement, elle en devient présidente nationale de 1943 à 1946. C’est par ce Mouvement qu’elle rencontre le Père Epagneul en 1941, alors qu’il en est aumônier diocésain.
- Voulant répondre à l’appel de Dieu dans la vie religieuse et cherchant de quelle manière elle peut le faire, elle est informée du projet de fondation des Frères à la Houssaye par le Père Epagneul. Elle accepte d’envisager une branche féminine qui vivrait de ce même esprit.
- Elle arrive à la Houssaye le 25 Mars 1946 et, après postulat, et noviciat chez les Sœurs de Jésus crucifié, elle fait profession le 25 Mars 1947 à la Houssaye alors que se forme un premier groupe de jeunes qui la rejoignent. Cette date marque celle de la fondation de notre congrégation.
- Les Sœurs arrivent à Lumigny en 1948. La congrégation se développe et, durant les décennies suivantes, Sr Ghislaine sillonne la France pour de nouvelles fondations : dans l’Oise, le Loiret, la Drôme, l’Yonne, le Berry, la Creuse, l’Eure, le pays Toulousain, la Provence et le Roussillon, puis au sud du Portugal. Entre temps la congrégation a célébré sa reconnaissance officielle par l’Eglise à Rozay en Brie le 25 Mars 1962.
-En 1965 Sr Ghislaine devient vice-présidente de l’Union des Supérieures Majeures de France, puis est élue présidente de 1970 à 1976 ; ce qui entraîne pour elle de nombreux contacts et participations.
- Notre premier chapitre général a lieu en 1968 Elue Prieure Générale à celui de 1974, elle ne souhaite pas garder cette responsabilité au-delà de 1977 ; aussi, après l’avoir exercée durant 30 ans, elle quitte alors cette charge de Prieure Générale.
- De 1978 à 2003, durant 25 ans, elle est heureuse de partager, comme chacune de nous, la vie et la mission d’un petit prieuré, à Tercillat puis à Chatelus dans la Creuse. Région pauvre spirituellement qu’elle aima beaucoup. Parallèlement elle assure alors des services près de congrégations religieuses : retraites, accompagnement de chapitres…
Elle restait, durant toutes ces années, intéressée et présente à la vie de notre congrégation, participant à tous nos chapitres, animant quelques retraites ou session, s’intéressant à la fondation en Afrique où elle effectua quelques séjours.
- Après une année de transition à Lombreuil elle fit partie du Prieuré de Cheny dans l’Yonne de 2004 à aujourd’hui. Les Sœurs l’ont accompagnée ces dernières années et surtout ces derniers mois de maladie vécus en hôpital puis à la Résidence St Loup à Brienon où elle mourut ce dimanche 3 Juillet au soir.

Cette longue vie fut féconde de bien des manières. Je vais en évoquer quelques aspects.

Son lien profond avec le Père Epagneul et les Frères Missionnaires des Campagnes.
Mise assez tôt au courant du projet de fondation, elle le porta dans la prière et le vit se réaliser près de chez elle. C’est en voyant vivre les premiers Frères à la Houssaye, nous a-t-elle souvent dit, qu’elle a découvert ce à quoi elle se sentait elle-même appelée. Je cite ce que cela représentait pour elle : « La vie religieuse, reprise comme à sa source, une vie pauvre, joyeuse et fraternelle, l’audace que donne l’engagement total à la suite du Christ, la simplicité du dialogue avec tous, le contact direct avec la Parole de Dieu et la liturgie de l’Eglise… » De ce contact avec le Père et les premiers Frères est né le désir de suivre elle-même cette voie et de la proposer à d’autres jeunes dans une congrégation.

Elle était heureuse des diverses formes de collaboration réalisées entre nos deux congrégations, jusqu’aux journées communes vécues à nos derniers chapitres et assemblées où elle-même participait fin 2009. Elle a pu rendre certains services aux Frères, notamment près du Père Epagneul durant quelques décennies et s’associer à l’équipe Patrimoine qui présenta les textes essentiels du Père. Enfin, avec Frère Jean-Louis, elle a écrit le livre « Prier 15 jours avec le Père Epagneul », ce fut pour elle une cause de joie et son ultime labeur.

Son service de la vie religieuse en France au sein de l’U.S.M.F.
Elle y avait été élue présidente alors que tant d’autres congrégations étaient plus importantes et expérimentées. Il semble que les Sœurs avaient reconnu en elle le choix d’une vie religieuse plus simple et évangélique, dans une proximité plus grande avec le monde actuel. Ce service l’ouvrit à des contacts œcuméniques et internationaux.
En cette période (1965-1976) de turbulence dans l’Eglise et les congrégations religieuses, des Sœurs cherchaient comment mieux s’adapter aux mutations du temps. Lors d’une Assemblée de supérieures je l’ai entendu dire : « L’ouverture c’est de tendre à vivre de l’esprit des Béatitudes. » Mais il fallait bien tout de même faire alors certains ajustements, et nous les Sœurs des campagnes le souhaitions aussi. Mais Sr Ghislaine voulait que ce soit bien réfléchi et expérimenté et que nous gardions fermement le cap.

Au service de ses Sœurs
Comment traduire tout ce que nous lui devons ? Préoccupée d’une formation adaptée à chacune, attentive à ce que nous gardions une vie simple et pauvre, soucieuse de la qualité de notre vie liturgique, témoignant par sa vie d’une ouverture missionnaire et d’une attention aux personnes, il y aurait bien des choses à dire. Voici la conclusion qu’elle donna à un interview qui fut réalisé il y a deux ans, à l’initiative de Sr Geneviève et aidé par Frère Paul..
Nous lui demandions : à quels aspects tiens-tu le plus ? Voici quelques extraits de sa réponse :
Certainement, le plus fondamental : vivre en communautés fraternelles, comme les disciples autour de Jésus, essayer toujours de s’y convertir et d’y revenir. Et pour cela s’alimenter à la prière de l’Eglise en donnant une grande place à la liturgie. Je crois que ces deux choses sont comme la prunelle de mes yeux, pour lesquelles nous serions dénaturées si nous ne les vivions plus.
Mais ceci bien sûr, dans le monde rural, puisque c’est là que le Seigneur nous a appelées. (…) Nous sommes liées aux joies et aux épreuves du milieu rural, nous en sommes un élément…
… dans une grande espérance, puisque nous savons que Dieu nous aime, qu’Il nous sauve en son Fils mort et ressuscité… Dans cet « aujourd’hui de Dieu » nous avons le bonheur d’avoir la révélation que Dieu est et qu’il nous aime.

Pour conclure voici une phrase de St Augustin que Sr Henriette m’a communiquée. Sr Ghislaine la méditait cette dernière semaine.
« Dans le ciel nous nous reposerons, nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons : voilà ce qui sera à la fin, sans fin. »

Merci Sr Ghislaine, que le Seigneur te conduise en sa plénitude de vie dans la grande fraternité du ciel.
sr Denise