soeur carolineDepuis mon enfance, ma vie a été marquée par les calebasses : 
Je voyais les hommes semer des graines de calebasse, dans un champ. Chaque graine prenait le temps de germer, de sortir de terre.

Si la terre était bonne, un bon sarclage suffisait pour détruire les mauvaises herbes qui poussaient en même temps qu’elle, Parfois, il fallait ajouter du fumier et remuer à nouveau la terre, signe d’espérance des fruits à venir, et le plant de calebasse s’étendait beaucoup, si on lui laissait la place.
Le champs devenait un tapis vert, puis des fleurs apparaissaient, c’était beau à voir, mais nous, les enfants, nous savions que ce n’était pas des fleurs à cueillir… 
Ces fleurs se transformaient en petits fruits ronds, qui se développaient, grossissaient…
Quand on se pressait, et cueillait le fruit encore vert, il se flétrissait et se refermait sur lui-même, mais quand on patientait, la pluie et le soleil faisaient leur travail, le fruit mûrissait lentement, et un jour on voyait qu’il se détachait seul de la tige… il était mûr, disponible…
La personne qui ramassait la calebasse, la coupait en deux avec habileté, la vidait de ses graines, la polissait, la faisait sécher…
Et ensuite, la calebasse était là, disponible à la vie de la femme, de la famille : Dans ma culture Dagara au sud ouest du Burkina Faso, il n’y a pas de jour où on ne se servait pas d’une calebasse, pour la cuisine, offrir à boire, transporter soit la nourriture, la semence, etc.… La calebasse accompagnait, marquant les grandes étapes de la vie : naissance, mariage, décès…
La calebasse était très fragile mais si l’on prenait bien soin d’elle, elle restait longtemps utile…

 

Oui, le seigneur a fait de moi une calebasse
Très tôt j’ai ressenti en moi, l’appel du Seigneur, petite graine semée en mon cœur, parmi d’autres… Cette petite graine, allait-elle germer ? Je n’en savais rien d’autant plus que d’autres désirs en moi voulaient prendre place. Un peu à la fois, ce plant fragile, a dépassé les autres, grâce à la vigilance, aux soins apportés par mes parents, mes éducateurs, tous ceux qui m’ont aidée.
Ils ont sarclé, encouragé à faire grandir en moi, ce qu’il y avait de bon… et je suis devenue consciente de tout ce que l’avenir me promettait comme fleurs, comme fruits…
Je découvrais aussi mieux l’amour de Dieu, pour moi, pour tous. J’ai collaboré à ce développement de ma personnalité, en m’engageant dans les mouvements d’action catholique :
Secrètement, le Seigneur m’attirait de plus en plus vers Lui et vers ceux qui ne le connaissaient pas encore. Ma calebasse mûrissait lentement : qu’allait-elle devenir ? Qui allait la cueillir ? Et j’ai laissé le Seigneur me cueillir, m’emporter loin de ma maison, des amis, de la terre qui m’avait fait devenir fruit…Il m’a déposée dans une autre région rurale du Burkina Faso, à Kompienbiga, chez les Sœurs des campagnes…
J’ai déposé ma calebasse, elle était lourde, belle, je l’aurais reconnue entre 1000 ! Car elle avait sa marque particulière « c’était ma calebasse », telle que le Seigneur m’avait laissée grandir, façonnée…
Pendant les années de formation, le travail a continué. Car pour devenir capable d’accueillir, d’offrir, le fruit de la calebasse doit être coupé, vidé délicatement, séché, poli : Tant de choses encombraient encore mon cœur… Avant de devenir vraiment libre pour le Seigneur, et pour mes frères…
Il fallait d’abord que je découvre davantage celui qui m’appelait, Lui l’auteur de la calebasse, Me mettre à son école, « Lui Jésus qui n’a jamais rien gardé pour lui, disponible à tous, aimant jusqu’à donner sa vie, désireux de faire connaître à tous l’amour de Dieu son père »... J’avais aussi à découvrir « calebasses » : mes Sœurs, elles aussi venues de près ou de loin, façonnées par le Seigneur pour la même mission.
C’est ensemble seulement que nous pouvions devenir « balafon » pour la joie des ruraux qui nous entourent.

Et maintenant depuis mon engagement, qu’est devenue ma calebasse ? Elle est devenue partage de l’amitié, symbole de toute ma vie missionnaire de sœur des campagnes…
Je laisse le Seigneur continuer de la remplir de sa Parole, de son pain, devenant à mon tour, capacité de partage, d’amitié, capable de recevoir des autres ce qu’ils veulent y déposer : joie, soucis, projets, attentes diverses.
Comme les calebasses, mon désir est d’être présente au quotidien dans la vie des uns et des autres, et aux grands moments de leur vie. Être là disponible, pour qu’avec les « calebasses de mes sœurs », nous puissions partager et recevoir l’eau de l’amitié, de la réconciliation, la parole de Dieu qui fait vivre.
Ma calebasse reste fragile, elle a sans cesse à être entretenue, nettoyée, polie. Elle a déjà reçue des égratignures, mais qu’y a-t-il de plus beau, l’image de l’arbre qui se fortifie dans le vent, qu’une calebasse recousue avec patience, délicatesse, et qui continue de servir.

Soeur Caroline DAH (Lumigny, S et M)