Jésus est l’homme du petit monde rural Galiléen.
Ses paroles et paraboles se réfèrent au monde ouvrier, agricole, artisanal (l’atelier de Joseph) qui est le sien. Ses relations sont celles de petits villages.
Aller à Jérusalem, capitale religieuse, se vit pour lui comme une démarche moins habituelle. Sa culture est toute entière orale et sa langue, une langue locale, l’araméen. Ses paroles, la signification de ses gestes et de son comportement sont reçues par une population où l’oralité a plus de poids de vérité et de conviction que les choses écrites : l’Écriture sacrée est reçue par eux dans l’oralité de la parole.
Certains exégètes pensent même que c’est peut-être l’une des raisons d’une date relativement tardive de l’apparition des évangiles après la mort de Jésus : près de 30 ans après pour le premier évangile synoptique. (Marc)
Pour nous FMC, cela nous rappelle que beaucoup d’entre nous viennent d’une ruralité à culture majoritairement orale, même passée par l’école primaire. Nous en savons la richesse comme les limites. Le monde de Jésus nous parlait davantage qu’aux gamins de ville et, aujourd’hui, la question du respect de la nature, de la création. Nous avons eu plus de difficultés avec l’écrit et les idées générales.
Paul, lui, est un homme de la ville. Il est né (ou arrivé avec sa famille dans sa toute première année) à Tarse qui va marquer son enfance et son adolescence, sa formation. Tarse, en Turquie de l’est actuelle, est une grande ville à cette époque, chef-lieu de la province romaine de Cilicie, ville carrefour entre Babylone (en Irak actuel) et la Grèce d’est en ouest, et entre l’Egypte et la mer noire du sud au nord, toute tournée vers Rome, la capitale de l’empire. Par sa famille de commerçants aisés, Paul est à la fois Juif et citoyen romain, ce qui ne courrait pas les rues à l’époque. La langue de toute la région est le grec, langue courante qui lie des gens d’origine très diverse comme aujourd’hui le serait l’anglais international ou, pour l’Afrique de l’Ouest francophone la langue française.
Paul enfant et adolescent bénéficie comme enfant de Tarse d’une excellente formation scolaire. Il n’a probablement pas été jusqu’en université (?). Pourtant Tarse en possédait une, excellente, en philosophie stoïcienne. Comme Juif, sa formation est pharisienne. Mais le haut niveau qu’il atteindra, il n’en trouvera la possibilité qu’à Jérusalem : « J’ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation strictement conforme à la loi de nos pères » lui fait dire Luc en Actes 22,3.
Jésus et Paul sont deux personnalités immenses et contrastées, d’horizons extrêmement divers.
Il doit être sans doute nécessaire dans le plan de Dieu que sa ‘Parole’ nous arrive d’abord comme un jaillissement, sans aucun systématisme, parole de liberté spirituelle sur l’homme, naissant d’un quotidien reconnaissable par tout homme de toute culture, à partir du vécu simple et pauvre de Jésus de Nazareth en terre palestinienne. Comme il doit être tout autant nécessaire pour Dieu que les premières grandes approches synthétiques et fulgurantes du message de Jésus soient proposées par l’extraordinaire fidélité inventive de ce grand penseur qu’est Paul, le terrassé du chemin de Damas. Le christianisme n’est ni un système de pensée philosophique ni une morale savante et contraignante : il est la possibilité – qui nous sauve – de pouvoir tout vivre avec et par Jésus, et par lui d’accéder au Dieu de Jésus, son Père. « Pour moi vivre c’est le Christ. » (Philippiens 1,21).
Alors, Paul a-t-il quelque chose à voir avec nous, comme ruraux, FMC et SdC, puisqu’il est l’homme de la ville ?
Son monde, le monde romain, est un monde qui crée des villes, qui vit à partir d’elles : elles animent une province. Regardons notre belle Provence, elle reste totalement marquée par la civilisation romaine (César et Marius !), tous les villages sont de gros bourgs organisés en petites villes. Et quand se créent des grosses fermes romaines sur le territoire de l’ensemble de la Gaule romanisée, les fermes s’appellent des ‘‘villa’’, qui seront la cellule-souche de petits ‘‘villages’’. C’est pourquoi le nom de tant d’entre eux se termine en ‘‘ville’’ (ex : Surtauville !). La vie vient de la ville. Elle s’étend à des fermes qui deviennent des villages. Dès l’origine il y a une articulation ville – campagne.
Paul et Martin de Tours, nos deux patrons, sont des hommes de ce monde romain là. Paul à l’apogée de l’empire, Martin à l’époque de sa décomposition. C’est à partir de son monastère de Ligugé, mais surtout de sa ville épiscopale de Tours que Martin ressent l’urgence d’un devoir d’évangélisation des ruraux regroupés en petites agglomérations sur son territoire périurbain.
Pour nous, hommes et femmes du XXème siècle, sensibles à la spécificité des milieux sociaux, nous avons été marqués par la différence entre ruraux et urbains, comme aussi à la nécessaire articulation entre ville et rural.
Aujourd’hui, au XXIème siècle, apparaît une globalisation, des problèmes économiques qui entraîne villes et campagnes dans des situations et des dépendances communes. Et la puissance des médias impose très largement une culture commune qui vient se superposer aux cultures urbaines, rurales et régionales, parfois seulement s’y ajoutant, parfois les engloutissant.
Il me semble que c’est à partir de ce constat : nos deux mondes, le rural et l’urbain, sont pris dans le même tourbillon de l’avenir, que nous pouvons retrouver Paul. Et que nous avons à rendre grâce de ce que l’Église soit née avec cette complémentarité entre Jésus et Paul.
Nous pouvons demander à Paul de nous éclairer quant au regard évangélique à porter sur notre civilisation globale actuelle, sur la manière d’y proposer le message de Jésus.
Frère Paul Rougnon
Prieuré saint Martin, à la Houssaye en Brie