80 ans du charisme Montauban 1-2 juillet 2023

 

Le charisme et sa transmission

                        par Edouard de La Portalière  

Citations bibliques tirées de la Bible liturgique.

1- Qu'est-ce qu'un "charisme" ?

Où trouve-t-on ce terme ? Dans le NT

Ce mot est essentiellement chez Paul dans le NT.

Quelques occurences :

1 Co 7, 7 : au sujet du célibat. Don surnaturel de continence.

2 Co 1, 11 : grâce d'être libéré de la mort

Rm 1, 11 : "J'ai un très vif désir de vous voir pour vous communiquer l'un ou l'autre don de l'Esprit afin que vous soyez fortifiés." par la foi que nous avons en commun.

Rm 5, 15 : un seul don gratuit, donné par Jésus Christ pour le salut.

Rm 11, 29 : "Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance." Don de la foi.

1 Tm 4, 14 : "Ne néglige pas le don de la grâce en toi, qui t’a été donné au moyen d’une parole prophétique, quand le collège des Anciens a imposé les mains sur toi". Charisme donné pour assumer la charge de l'apôtre, de l'évangéliste.

2 Tm 1, 6 : "Voilà pourquoi, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu, ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains".  Raviver le charisme en rendant témoignage. Transmission d'un charisme par l'imposition des mains.

Et chez Pierre : 1 P 4, 10-11 : "Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, en bons gérants de la grâce de Dieu qui est si diverse : si quelqu’un parle, qu’il le fasse comme pour des paroles de Dieu ; celui qui assure le service, qu’il s’en acquitte comme avec la force procurée par Dieu. Ainsi, en tout, Dieu sera glorifié par Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen."

* Etymologie :

Ce mot vient de kharis, en grec, qui signifie "grâce". On retrouve le mot kharismata (charismaton (pluriel)) dans 1 Co 12, 4 qui est traduit par "dons de la grâce" ou par "don". Le charisme est donc un don de la grâce, un don gratuit, un don de Dieu, quelque chose qui est donné d'en haut personnellement et en vue du bien commun : 1 Co 12, 7 : "A chacun est donnée la manifestation de l'Esprit en vue du bien". 

Manifestation (phanerosis) : venue à la lumière. En vue du bien : sympheron : symphonie, bien commun, harmonie. Les sons différents s'unissent en une musique mélodieuse, plusieurs voix, un chant.

Le charime s'enracine dans la grâce baptismale mais ne s'identifie pas à elle. La grâce baptismale, cet "amour de Dieu (grâce) (qui) a été diffusé dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5, 5). La grâce sanctifiante donnée par le baptême est une participation à la vie divine. Elle rend l'homme agréable à Dieu, elle est dite "sancrifiante" (gratum faciens). Elle se situe dans l'essence de l'âme. Elle est une disposition permanente qui nous fait fils, filles de Dieu. Les donc charismatiques, les charismes (gratis datae), dont parle Paul en 1 Co 12-13, ne sont pas nécessaires au salut et permettent de "coopérer au retour vers Dieu d'un autre homme"[1], favorisant la structuration du Corps qui est l'Eglise.

Charisma : un don de la grâce, une faveur que chacun reçoit sans aucun mérite de sa part.

Variété des dons, des charimes : énumérations différentes ; pour le gouvernement et l'organisation de l'Eglise (Rm 12, 28), pour la vie de l'Eglise et sa mission (1 Co 12, 8-10 ; Rm 12, 6-8).

Dons variés mais une seule source, un seul Esprit : 1 Co 14, 4-6 (3 fois) ; et v.11, 13 // corps humain : différents membres, un seul corps.

Chaque membre, chaque personne membre de l'Eglise reçoit un don particulier, qui lui est spécifique (12, 7, 11 : "à chacun en particulier") en vue du bien, de former un seul et même corps uni : "Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres." Particularisation mais pas pour une autonomie, un chacun pour soi, mais pour que chacun trouve sa place et sa fonction, sa mission, dans le corps, l'Eglise en l'occurence.

Dons qui viennent confirmer la parole de Jésus : He 2, 4 : "Dieu joignait son témoignage par des signes, des prodiges, toutes sortes de miracles, et le partage des dons de l’Esprit Saint, selon sa volonté".

 

2- Le charisme communautaire[2]

Si l'Eglise est un corps vivant, elle est constituée de membres qui sont les personnes mais également les communautés particulières, géographiques (paroisses) ou d'élection : communautés liées à un appel particulier, à un charisme. Ce qu'il n'est pas : Le charisme n’est pas une œuvre, que ce soit en santé, en éducation ou autre. Ce n’est pas juste la mission, ni la spiritualité, ni une forme de vie fraternelle. Ce n’est pas non plus l’addition des trois : mission+spiritualité+forme de vie.

Le charisme : 3 dimensions :

- dans sa dimension théologique, est un don de Dieu fait à l’Église, au monde, à la communauté, et à une association comme les Frères et soeurs missionnaires des campagnes.

- dans sa constitution, c’est un tout indissociable formé de la spiritualité, de la mission et de la forme de vie fraternelle. Ces trois composantes sont à l’image de la Trinité : tout en étant distinctes, l’une n’existe pas sans les autres. Elles sont en interrelation, en communication constante et en communion;

- comme réalité vivante, le charisme s’enracine dans une histoire, dans une tradition, et demande à s’incarner, à se déployer et à s’actualiser.

* D'où vient le charisme d'une communauté ?

Le charisme est porté par une ou des personnes fondatrices et il prend sa forme dans leur expérience spirituelle. « Le charisme n’existe pas en soi, il n’existe qu’à travers les personnes qui le vivent. Elles seules sont capables de l’exprimer vraiment. Le charisme n’est pas un donné définitif. Il se précise avec le temps et se découvre graduellement en fonction de l’expérience de l’institut[3] » et de l’association.

Donc le charisme est un don de Dieu et une réalité vivante et en évolution. Il est constitué de la spiritualité, de la mission et d’une forme de vie adaptée à notre engagement, en communauté ou dans l’association. Ces trois aspects sont indissociables, constamment en interrelation, en communion et en évolution dans leur expression. Il est une manière particulière de vivre l'Evangile qui va être plus sensible à tel aspect de la vie et de la mission du Christ.

 

3. Connaître le charisme de la communauté pour mieux en vivre, l’incarner et le transmettre

Un premier travail nécessaire et salutaire : distinguer la personnalité du fondateur et son charisme.

Définition :Théologique : Don conféré par la grâce divine pour le bien commun.

Définition générale : Qualité d'une personnalité qui a le don de plaire, de s'imposer, dans la vie publique (cf. lien avec les fondateurs qui ont les deux).

Cela suppose de reconnaître la diversité des charismes et la relativité des personnes :

- Autre est le charisme de fondation, autre est le charisme d'établissement d'une communauté, autre le charisme de transmission, autre le charisme de gouvernement. Le Seigneur veut cette diversité pour qu'il y ait véritablement un corps Eglise ou communautaire et non un gourou. Ex : Charles de Foucauld, mort sans avoir fait le moindre disciple et pourtant plusieurs communautés se sont inspirées de sa spiritualité de petit frère universel au milieu du désert des villes et de présence auprès de nos frères et soeurs musulmans (Petites soeurs de Jésus). Expérience de St François d'Assise (Sagesse d'un pauvre d'Eloi Leclerc). Jeanne Jugan et l'abbé Le Pailleur.

- Distinguer (oeuvre de discernement) charisme de la personne du fondateur ou du responsable et charisme communautaire. La personne et le message, l'homme, la femme et le trésor qu'elle porte : Il est inévitable que les membres d'une communauté qui ont connu le ou la fondateur (trice) soient sous le charme. Dailleurs, quand il (elle) disparaît, il n'ste pas rare que certains quittent la communauté. Passage difficile. Dans les communautés nouvelles, les ravages ont été nombreux du fait de ce manque de discernement.

- Recevoir et vivre un charisme fort nous met en situation de faiblesse : danger de l'orgueil communautaire. Croire que nous sommes supérieurs ou plus évangéliques que les autres (cf. éditorial d'Isabelle de Gaulmyn dans La Croix du 27 juin 2023).

- Garder précieusement cette parole de Paul : 2 Co 4, 7 : "Mais ce trésor, nous le portons comme dans des vases d’argile ; ainsi, on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous".

Ce garde-fou étant posé, il convient alors de faire l'inventaire du charisme de la communauté.

La spiritualité de l’institut se découvre à partir de l’expérience spirituelle des fondateurs. Le père Boisvert dit « qu’elle consiste en une compréhension particulière de l’Évangile appelée à se traduire dans le vécu[4] ». La mission, quant à elle, découle de l’expérience spirituelle et missionnaire des fondateurs. Une expérience qui consiste en une compréhension particulière de l’Évangile et qui se traduit en acte. La mission qui s’ensuit est de manifester le visage de Dieu, de Jésus ou de Marie tel que perçu et vécu par les fondateurs. Votre mission s’exerce auprès des populations des campagnes, à travers des actions, des œuvres, mais toujours d'une manière qui vous est propre et qui reflète tel ou tel aspect du Christ dans sa mission. Toutefois, l’expression de cette mission n’est pas figée. Elle est régulièrement à ajuster en réponse aux signes des temps et des besoins du peuple. Votre forme de vie fraternelle, pour sa part, résulte de la vision des fondateurs pour réaliser la mission à partir de la réalité de leur époque. Il fallait donc au frère Michel Epagneul et à soeur Ghislaine Aubé, deux congrégations apostoliques pour vivre avec les ruraux en étant une présence évangélique et fraternelle. Cette forme de vie est dynamique; elle s’adapte et se transforme en vue d’accomplir la mission, selon les conditions d’existence de la communauté et les besoins des temps. Aujourd’hui, avec les fraternités laïques, se développe une nouvelle forme de fraternité regroupant des laïcs, des couples, un diacre… Votre fraternité est rassemblée par une même expérience spirituelle, un même visage de Dieu et elle est envoyée en mission pour être présence fraternelle auprès des ruraux à la manière du Christ frère et ami. Le charisme n’est pas votre propriété, ni à vous religieux ni à vous personnes associées. Le charisme est un don de Dieu pour l’édification de l’Église et du monde. Il est au fondement de votre congrégation et de votre association. C’est un don appelé à être partagé à d’autres dans la vie religieuse, dans l’association, dans le mariage, dans une consécration particulière, etc. C’est un cadeau de Dieu que nous avons le devoir de déployer dans le monde, selon le lieu de notre engagement et selon notre vocation.

- Faire l'inventaire de ce qui est au coeur de votre expérience propre, liée à votre grâce baptismale mais avec sa coloration spécifique. 

- Se mettre à l'écoute de ce que vivent les habitants des villages, du rural. Permanences, évolutions, besoins d'aujourd'hui. Connaître le monde dans lequel on est. Profiter de la sagesse et de l'expérience des anciens.

- Se mettre à l'écoute de l'Esprit Saint : nécessité d'une vie de prière soutenue, prière silencieuse d'écoute intérieure. Formation au discernement des esprits. Cela permet de rester dans une vie intérieure vive, qui libère de toute idéologie ou certitudes qui enferment sur un passé révolu. De vieilles lunes idéologiques ont plombé nombre de communautés fondées au XIXème et qui ont disparue.

- Une charisme vécu dans une communauté peut être donné pour un temps donné. Des grands ordres commes les Bénédictins, les Dominicains, les Franciscains on traversé bien des crises et sont toujours là. C'est la volonté du Seigneur. Ils ont toujours eu besoin de réforme (Ravive le don que tu as reçu de mes mains), c'est-à-dire un retour à la force évangélique et à sa radicalité portée par l'intuition du fondateur. D'autres ont été florissants et ont rapidement disparu. Seule l'église a les promesses de la vie éternelle. 

 

[1]Somme de St Thomas d'Aqui, Ia IIae q.111, a.1, rép.1.

[2]Reprise d'un enseignement de Gaétane Guillemette, ndps, APS. Saint-Damien, 5 juin 2016.

[3]Nicolas Boccard, Charisme et instituts de vie consacrée, éd. De Boccard, Paris, 2015, p. 205.

[4]Laurent Boisvert, Le charisme. Un visage évangélique à incarner et à manifester, Bellarmin, 2005, p. 22