Homélie aux obsèques du frère Paul Morel à La Houssaye, le 11 Mars 2022
à partir de 1 Jn 3, 14.16-20 – Jn 6, 37-40 et le texte : « II restera de toi »
Véronique, Béatrice et Laurent, les nièces et le neveu de frère Paul, vous tous, frères et sœurs réunis dans cette église, la mort nous oblige à regarder en face le sens même de notre propre mort.
Il restera de nous ce que nous avons donné, ce que nous avons offert, ce que nous avons semé. Bien sûr en préparant ce petit mot je faisais défiler dans mes souvenirs ce que j’avais vécu avec le frère Paul, en particulier, les années dans le département des Bouches-du-Rhône, à Peyrolles-en-Provence. Paul était très inséré dans le secteur où nous vivions.
En Congrégation, les Frères, nous aimons bien employer quelques expressions pour dire ce que nous sommes : « être avec », « faire corps », « être ferment »… « Proximité, volonté de partage de vie locale, travail, emploi, engagement dans les associations, service, souci de développement, présence aux blessés de la vie ... »
Parmi toutes ces expressions, je retiendrais, en ce qui concerne Paul, le temps où il était chauffeur de poids lourds dans une usine de Peyrolles qui découpait et transformait de la viande de porc, pour la livrer dans le département et les départements voisins. Ses journées et surtout ses nuits étaient bien remplies quand il devait livrer de la viande dans les rues de Marseille ou de Gap, dans les Hautes-Alpes. Il se plaisait à dire que sa chapelle était la cabine de son camion. Se retrouver tous ensemble en communauté était un peu compliqué. Mais, à la suite du Christ, il avait le souci d’insérer ses diverses activités, au travail comme dans l’animation d’une équipe de foot du village, au cœur même de la vie des hommes. En effet, comme le dit un numéro de notre règle de vie : « Nous tenons ces insertions professionnelles, sociales, culturelles … comme essentielles à notre action apostolique. Elles sont une marque privilégiée de notre solidarité humaine, avec ce que cela comporte de poids de péché et de grâce. »
Que ce soit dans son travail professionnel à Peyrolles ou, plus tard, dans l’accompagnement des frères malades et en fin de vie, auprès desquels il avait choisi de vivre, au sein même de la maison de retraite à Sens ou à Chéroy dans l’Yonne, il a toujours eu à cœur le souci de la dignité des personnes. C’était son combat. Il trouvait qu’elles n’étaient jamais suffisamment prises en compte et considérées. Il s’est particulièrement intéressé à toutes les questions actuelles concernant la vieillesse et la fin de vie.
Oui, frère Paul, il reste de toi ces tranches de ton histoire. Aux yeux de Dieu, nous avons chacun et chacune de nous, du prix, quelle que soit, ou qu’ait pu être notre vie, avec nos fragilités et nos richesses, avec nos souffrances aussi, l’isolement, la difficulté de pouvoir échanger une parole.
Indépendamment des œuvres qui jalonnent notre vie, indépendamment de nos mérites, le Seigneur regarde notre cœur. Il n’est pas venu pour nous juger. St Jean dans son évangile à ces mots très forts : « Parce que nous aimons nos frères, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie. » Jésus est venu pour que nous vivions. Voici la grande nouvelle, la seule capable de faire naître en nous l’espérance : Dieu est Père. Il est bon. Sur sa bonté se fonde notre espérance. Il nous donne son Fils pour que nous vivions à jamais.
Jésus s’adressait à la foule en disant que : « la volonté de Celui qui m’a envoyé est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’ a donné, mais que je les ressuscite au dernier jour. »
Le verset du psaume 62, sur le faire-part du décès du frère Paul, illustre bien un aspect de sa foi dans la dernière période de sa vie : « Dans ma nuit, Seigneur, je me souviens de toi … Oui, tu es venu à mon secours … De toutes leurs angoisses, tu délivres les justes. » Paul était angoissé, à la recherche de la paix intérieure. Les derniers jours il souffrait de sa colonne vertébrale, il ne s’alimentait presque plus et avait du mal à parler. Un frère lui a proposé de prier avec lui, aussitôt il a fait un signe de croix. Dans l’un de ses courriers daté du mois d’Avril 2021, il écrivait : « Je relève la tête et regarde quelqu’un là-haut sur une croix qui se retourne et s’apprête à me dire malicieusement : Tu veux prendre ma place ? »
Notre vie commence ici-bas pour s’épanouir dans l’éternité. La mort conduit à la plénitude de Dieu. Si notre cœur n’est pas tout à fait prêt, nulle crainte, nous dit St Jean, car « Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses. » Dieu nous a aimés dès avant la création du monde. Il nous aime, au-delà de notre mort, et nous promet la vie éternelle. Tout Carême finit par l’Exultet !
Frère Paul, il reste de toi ce que tu as vécu, ce que tu as peiné, ce que tu as donné, ce que tu as prié. Tu es connu et reconnu de Dieu par ton nom. Tu as été voulu par lui, par amour et pour aimer.
Toute ta vie humaine qui est une aventure, comme chacune de nos vies, s’ouvre maintenant sur la rencontre éclatante de lumière, le face à face avec ton Seigneur, le Dieu de la Vie, le Dieu de toute Tendresse et de la Paix véritable !
Frère Jacques Tivoli