C'est matin ! Catherine vient voir ce lopin de terre dont elle rêve, pour jardiner, entre les cours au collège… La terre est belle, récemment travaillée, elle en prend une poignée, la tâte, en respire l'odeur la fait lentement glisser entre ses doigts, en murmurant : « Elle est douce ! » Douce, la Terre ? Si convoitée et rude à travailler… ! acquise parfois durement ou volée… polluée, devenue stérile… ou… Belle ? Vivante ? Nourrissante ?
Un lien intime entre la terre et l'homme
Les premiers chapitres de la Genèse nous le disent, avec des images : Dieu sépare terre et eau pour que la vie puisse advenir. Il modèle l'homme avec la glaise ; ainsi entre elle, la terre, et lui « le terreux, le glèbeux » un lien d'origine : Tu es glaise et tu retourneras à la glaise, et un lien de vocation : terre qui appartient à Dieu, donnée, confiée à l'homme fragile… poussière et passant. Terre qui le nourrit et le fait vivre. Ce lien vital, nous le percevons aujourd'hui abîmé, rompu.
L’expérience d’Israël
Israël va vivre durant des siècles sa relation à Dieu sur une terre rêvée et promise : Va vers le pays que je t'indiquerai (Gn 12, 1) terre désirée, conquise (Jos 11, 16), abandonnée, retrouvée (Jr 29, 10). Terre où coulent le lait et le miel, dont on rend grâces, en chantant les psaumes : De l'amour du Seigneur, la terre est pleine… Toute la terre chante, chante pour ton Nom… Les cieux racontent la gloire de Dieu… par toute la terre en ressortent les lignes (Ps 33, 66, 19). Et en bénissant le Seigneur : Béni soit le Seigneur qui seul fait des merveilles (Ps 72), Voici que j'apporte les produits du sol que tu m'as donné, Seigneur (Dt 26, 10). Terre où se découvrent des appels à un vivre-ensemble, pour que la terre soit habitable hier et aujourd'hui pour tous : Ils avaient de trop grands biens pour pouvoir habiter ensemble (Gn 13, 6), Ils joignent champs à champs. Tu ne molesteras pas l'étranger, vous avez été étrangers (Ex 22, 20), Qu'il n'y ait pas de pauvre chez toi (Dt 15, 4).
Dépossédé de sa terre, Israël s'interrogera
Dieu peut-il être présent en terre étrangère ? Il découvrira alors que sa présence n'est pas liée à une terre mais qu'il est avec-son-peuple, dans une grande proximité: Nous sommes l'argile, tu es notre potier (Is 64, 7). Quand les exilés reviendront, ils pourront alors élargir leur regard au point que l'un d'eux annoncera que, dans l'avenir, Dieu créera des cieux nouveaux et une terre nouvelle où toutes les nations et peuples seront rassemblés (Is 66, 22). Alors le Seigneur sera roi sur toute la terre (Za 14, 9).
Jésus fait advenir cette terre
Pour habiter cette terre, autrement, il propose les Béatitudes : "En marche, les humbles !" Oui, ils hériteront la terre (Mt 5, 4) et appelle à être sel de la terre. Il est le Semeur de la Parole et la terre profonde, bonne, porte du fruit, cent, soixante, trente… Il est venu apporter la paix sur la terre, il dira à quelqu'un : "Va, ce que tu as vends-le" (Mc 10, 21) et déclarera : "Personne n'aura laissé maison, frères, sœurs, mère, enfants et champs à cause de moi et de l'Évangile, sans recevoir au centuple dès maintenant et (…) dans le monde à venir la vie éternelle" (Mc 10, 29-30). Au soir de la Cène, il prend le pain, fruit de la terre et du travail de l'homme, le consacre en signe de son Corps… puis, sera enfoui en terre comme le grain de blé, arbre planté en terre qui donne la Vie (Gn 2, 9 ; Jn 19, 20). Ses amis, témoins de lui, vont aller jusqu’aux extrémités de la terre porter ses paroles qui ne passeront pas (Mt 24, 35) jusqu’au jour où la terre sera ébranlée (He 12, 26). Le ciel et la terre s'enfuiront de devant sa face et Celui qui siège sur le trône déclara : Voici que je fais l'univers nouveau (Ap 21, 1-5). Terre si convoitée et rude à travailler, aujourd'hui parfois devenue stérile, polluée. Les émigrants, réfugiés, les paysans sans terre crient dans leur chair les douleurs de notre terre, mais ouvrons les yeux sur tous ceux qui participent à l'éclosion d'une terre belle, vivante, nourrissante et partagée entre tous.
Sœur Jeanne-Myriam LALLEMENT
Prieuré Sainte Jalle Cléon d’Andran (Drôme)
Chronique Septembre 2010.
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