Notre époque réalise que la surface de la terre et ses ressources ne sont pas extensibles, voire même en diminution. Le désert gagne au Sahara et ailleurs. La montée des océans menace des régions entières comme le Bengladesh.Des terres maltraitées baissent de fertilité : tassement, érosion, pollution… La terre est aussi revendiquée pour d’autres usages que la production agricole. La terre devient l’objet de toutes les convoitises avec l’augmentation des populations et la flambée des prix des matières premières. Au Brésil des petits paysans sont spoliés et chassés des terres qu’ils cultivent par des multinationales pour des cultures d’exportations : soja, agro carburants. A Madagascar et en Afrique,la Coréedu Sud etla Chineachètent des millions d’hectares ou passent des contrats de longue durée avec des États. Et en France qu’en est-il ?
Conflits d’usages
La pression foncière s’intensifie, la terre est revendiquée pour de multiples usages, ce qui entraîne des concurrences et des conflits d’intérêts. Des jeunes agriculteurs n’arrivent même pas à s’installer faute d’accès à la terre. L’urbanisation avec ses parkings, ses zones : industrielles, commerciales, récréatives et les infrastructures : autoroutes, aéroports détruisent chaque année des milliers d’hectares de terre agricole. Ce sont généralement les bonnes terres qui sont prises comme en Ile-de-France. En zone rurale les agriculteurs sont devenus minoritaires. Les nouveaux résidents recherchent une vie tranquille en conflit parfois avec les contraintes de l’agriculture : bruits, odeurs, circulation d’engins… Le tourisme, les loisirs, la protection de la nature, de la biodiversité, de l’eau sont autant de facteurs qui modifient la fonction de production des agriculteurs et favorisent le développement d’activités annexes : gîtes, chambres d’hôtes, campings à la ferme…
Révolution culturelle
Un bouleversement s’opère progressivement dans la relation que les agriculteurs entretiennent avec la terre. La terre, un patrimoine, devient un outil de travail. C’est de moins en moins la terre des ancêtres. Le faire valoir direct diminue au profit des formes sociétaires d’exploitation. A titre d’exemple, dans l’Yonne, il y a 50 % d’exploitations en sociétés : GAEC, EARL, autres sociétés ; elles cultivent 62 % de la surface agricole utile et assurent les 2/3 des emplois. Des formes nouvelles du capital foncier sont apparues. Cela modifie le lien entre propriété foncière, propriété agricole et production. La terre, patrimoine familial, devient après la seconde guerre mondiale la terre outil de travail avec l’idée de progrès. Dans les années 1960 le CNJA,la JAC militent davantage pour le métier d’agriculteur que pour protéger et conserver le patrimoine familial. Le lien à la terre s’en trouve modifié, l’aspect affectif disparaît, on est dans le remembrement, l’échange de terre, le capital devient des parts sociales. Bien souvent des propriétaires qui arrivent à la retraite proposent leurs terres en fermage. Les enfants lors de la succession mettent les terres en vente. N’est-ce pas une révolution culturelle qui s’opère chez des agriculteurs qui développent des assolements en commun pour organiser le travail et maîtriser les coûts de production. Il leur faut accepter le rendement moyen des centaines d’hectares d’une culture de blé, quelque soit le rendement de leurs parcelles. Quel chemin parcouru entre son lopin de terre bien soigné à transmettre à sa famille ! Ceci dit, il reste une agriculture familiale pour encore 59 % d’agriculteurs avec des structures plus petites, bien souvent avec des activités complémentaires : ventes directes, accueil à la ferme… Pour un petit nombre le domaine familial est conservé de génération en génération. Les terres sont données à travailler, la chère maison familiale se garde au prix de nombreux sacrifices. Chaque fois que c’est possible, des Frères et des Sœurs missionnaires des campagnes aiment cultiver un jardin potager et embellir leur cadre de vie. Ce sont là des facteurs d’équilibre et de beauté.
Frère Jean de FLAUJAC
Prieuré Saint Germain Chichery (Yonne)
Chonique n° 252