Se laisser saisir par le Christ, il faut toute une vie ! Cette parole est comme une lumière, une force, mais aussi un combat et un chemin…
Je tente d’en ouvrir quelques fenêtres. Je suis originaire du département de l’Aisne, région marquée par les guerres et bien peu christianisée, avec peu de prêtres souvent venus d’autres diocèses. Je suis la deuxième d’une famille de trois enfants ; nous avions trois, cinq et sept ans quand papa est mort. C’est la foi chevillée au corps de maman, une foi engagée sur le village qui m’a nourrie. C’est aussi la JACF. Avec les jeunes du village nous vivions bien des choses, mais comment partager avec eux ce qui me faisait vivre ? Je ne me voyais pas aller dans un couvent et je me disais, c’est avec eux, avec d’autres qu’il faut partager la Bonne Nouvelle de Jésus.
Un jour j’ai été mise au pied du mur
La veille d’un 15 août, l’aumônier diocésain est venu me demander de prendre la responsabilité de la JACF sur le diocèse ; dans les mêmes moments, un jeune me posait la question du mariage, alors que je pensais à la vie religieuse apostolique. ll fallait choisir ! Peu à peu le Seigneur m’a donné des signes et les choses se sont éclairées notamment par une autre jeune qui m’a parlé de sa découverte des Sœurs des Campagnes. Je suis allée les voir un jour à Lumigny… Ce qui m’a séduite, c’est cette vie religieuse simple, de proximité, nourrie par la Parole de Dieu, la prière de l’Eglise dans une vie fraternelle, vivant du travail des femmes de la région, s’insérant dans une vie humaine et ecclésiale.
Conduite dans divers lieux de France
Oise, Haute-Garonne, Drôme, Bouches du Rhône, Normandie et Loiret où je suis actuellement. Avec des engagements divers : notamment avec des jeunes dans les Bouches du Rhône, dans la catéchèse, la liturgie… Dans le travail j’ai rejoint ce que des femmes faisaient : ménage et durant une dizaine d’années cueillette du raisin de table et vendanges avec d’autres.
Le monde rural change et il faut s’ajuster
C’est lors d’un week-end régional MRJC sur l’économie que j’ai été interpellée par l’intervenant. Pour lui les personnes les plus isolées et souvent exploitées au travail étaient les femmes dans les bureaux des multiples petites entreprises. Après une formation à la comptabilité, poursuivie ensuite en travaillant, je suis arrivée en Normandie où j’ai d’abord connu la recherche du travail, les courriers, CV sans réponses, les entretiens où il faut apprendre à se vendre… puis l’adaptation dans un cabinet comptable. Plus tard, me voici envoyée dans le Loiret cherchant de nouveau un travail qui me mette au coude à coude avec d’autres… Me voici de nouveau dans un cabinet comptable où nous étions entre dix-huit et vingt collègues. Je n’ai pas été déçue quant au partage de vie: climat difficile où la personne passe après ce qu’elle ‘rapporte‘, humiliations chacun à notre tour et divisions. Partage riche pourtant, avec les collègues et avec ceux très divers pour qui je travaillais : garagistes, boulangers, cafés, marchands de bestiaux, fleuristes… C’est un long compagnonnage auquel s’est ajouté un groupe de jeunes que je retrouvais le midi pour pique-niquer. Vrais moments de partage, de détente et parfois de pleurs ou de découragement dans ce que chacun vivait au travail ou ailleurs. J’ai beaucoup reçu de cet enracinement et aujourd’hui des liens forts subsistent, d’autres se créent.
La Bonne Nouvelle ne nous appartient pas
Je l’ai constaté dans le groupe Alcool - Ecoute qui se retrouve tous les mois chez nous. Au départ, ce fut à la demande d’un agriculteur jeune qui voulait un lieu plus discret qu’une salle prêtée par la mairie. Abstinente avec eux, je fais partie de cette équipe et suis souvent émerveillée de la recréation, de cette vie qui renaît en ces hommes et ces femmes qui peu à peu relisent leur histoire, rient d’eux-mêmes, disent leur combat et se mobilisent pour soutenir celui qui arrive ou retombe, même si certains s’affrontent avec vigueur lors des rencontres ! Le lendemain d’une réunion les Sœurs me demandent parfois ce qui s’est passé pour que les éclats de voix soient si forts! Entre les réunions, les appels téléphoniques, mails et visites, des liens solides se tissent, des sensibilités différentes s’expriment ; il faut apprendre à s’écouter et à découvrir la complémentarité. En entrebâillant ces fenêtres, comment ne pas rendre grâce au Seigneur de ce qu’Il m’a révélé de son visage à travers ceux et celles qui ont été sur mon chemin ! Oui, tandis que je tâche de Le saisir, Il ne cesse pas de me saisir…
Sœur Marie-Britte CESVET
Prieuré Saintes Marthe et Marie Ladon (Loiret)
Chronique n°254.
Pour lire l'article en pdf cliquer ici : Je tâche de Le saisir