Y a-t-il toujours cohérence entre nos paroles et nos actes, entre nos désirs et leur réalisation ? Cela concerne la vérité dans nos relations et, pour nous religieux, dans notre vie communautaire. Oui, la fraternité va jusqu’à tendre à cette harmonie et à en prendre les moyens. Sœur Marie-José nous partage son expérience à ce sujet.
Angevine d’origine, je suis allée voir un prieuré de Sœurs des Campagnes à Lumigny en Seine-et-Marne. On ne m’a pas donné beaucoup d’explications. Timide, je n’ai pas posé beaucoup de questions, mais j’ai vu vivre cette communauté. J’ai été très impressionnée par le style de vie un peu austère de la maison, le silence, la prière chantée de l’office. J’ai surtout découvert les relations fraternelles à l’intérieur de la communauté et aussi avec les gens du village, une simplicité de relations et d’accueil. Cela m’est apparu comme faisant partie intégrante de leur vie. C’est le souvenir le plus fort que j’ai gardé. C’était cela être Sœur des Campagnes ? Cela devenait pour moi comme une promesse de vie.
Vivre selon l’Évangile, c’est d’abord vivre le commandement nouveau de l’amour fraternel donné par Jésus. Tous les chrétiens y sont appelés. Sœurs, nous avons été séduites par l’amour du Christ et nous nous sommes engagées à mener en prieuré une vie à l’imitation de Jésus avec ses apôtres et de la première communauté de Jérusalem, c’est-à-dire un chemin de vie ensemble : en communion avec mes Sœurs jusqu’à la mort, avons-nous dit le jour de notre profession perpétuelle.
Une tâche à accomplir
Nous vivons en communauté avec des Sœurs que nous n’avons pas choisies, nous acceptant différentes de caractère, de culture, marquées par le vécu de notre enfance, de notre jeunesse. Ces Sœurs me sont données, j’ai donc à les recevoir, à les accueillir comme moi je suis accueillie par elles. Chacune est amenée à mettre ses dons au service des autres, à apporter sa part pour la vie de la communauté avec ses capacités personnelles, manuelles, intellectuelles. Donner et recevoir. Dans le quotidien, nos différences, nos tempéraments s’expriment. Des heurts, des incompréhensions se manifestent qui peuvent nous « bloquer ». Au fil des années des difficultés, des handicaps de santé apparaissent dont chacune peut souffrir et faire souffrir les autres. Qu’en est-il de l’heureuse promesse de vie des premières années ? Nous pouvons être amenées à en douter. Comment continuer à avancer sur ce chemin ? Lors de certains passages dans nos vies nous sommes tentées de dire : c’est impossible. Impossible pour nous, mais pas pour Dieu.
Une grâce à recevoir
Vivre en communauté nous amène à reconnaître nos limites et nos faiblesses devant les autres. Et cela peut nous faire avancer dans la vérité sur nous-mêmes ; expérience qui libère, ouvre le cœur, bâtit la relation, fait grandir la confiance entre nous. Jour après jour nous avons à vivre très simplement le pardon, la réconciliation : un geste, une parole, une explication, une prière pour l’autre dans le secret. Si ton frère, ou ta sœur, a quelque chose contre toi, va d’abord te réconcilier… Le pardon mutuel nous le vivons aussi dans un contexte plus large, en réunion de communauté à intervalles réguliers dans ce que nous appelons la révision communautaire. Dans un climat de prière, nous nous remettons ensemble devant tel aspect de notre vie, de notre mission, à la lumière de l’Évangile pour éclairer ce que nous avons vécu. C’est un moment de vie communautaire qui peut être exigeant à vivre mais est souvent source de paix et de joie. Dans le chemin de vie ensemble la prière rythme nos journées : prière personnelle, prière liturgique pour chanter la louange de Dieu, intercéder avec et au nom de tous ceux qui nous entourent ; prière qui nous relie à toute l’Église.
Éclairée par la Parole de Dieu
La Parole de Dieu est accueillie chaque jour et partagée comme un pain. Je pense à ce que nous vivons chaque fin de semaine, durant une heure, autour de l’Évangile du dimanche suivant : ensemble nous approfondissons le texte, nous exprimons ce que les paroles, les actes de Jésus éveillent en nous comme appel, nourriture pour notre foi, notre espérance. Et nous prenons aussi le temps d’une relecture de la semaine qui s’achève. Chacune de nous évoque ce qui, à la faveur des événements, des rencontres, a été pour elle signe de la présence de l’Esprit de Dieu, ce qui l’amène à rendre grâce. Parfois il m’arrive de n’avoir rien à partager, mais ce qui est exprimé par les autres Sœurs élargit mon regard et mon cœur ; je rejoins la prière, la joie des autres.
Ces partages constituent un tissu de vie et de foi, une communion fraternelle entre nous et avec la vie du monde.
Sœur Marie-José FORESTIER
Prieuré Sainte Madeleine, Meyrargues (Bouches-du-Rhône). Paru dans Chronique n° 250