Des étapes dans l’itinéraire du frère Paul Morel

Paul est né et a été baptisé le 20 décembre 1928 à Lusanger (diocèse de Nantes). Il fait ses études au petit séminaire de Guérande et au grand séminaire de Nantes ; puis il entre au noviciat des Frères Missionnaires des Campagnes le 28 septembre 1952.

En octobre 1955 Il participe à la fondation du prieuré d’Urciers (Indre). C’est là qu’il émet sa profession perpétuelle le 16 mars 1958. Suite à la fermeture du Prieuré en 1959, il fait partie de la communauté de Sainte Sévère, toujours dans l’Indre. Après un court séjour à La Houssaye (1964) il intègre en 1965 le Prieuré de Peyrolles (Bouches du Rhône) nouvellement fondé. Il en devient prieur en 1981 jusqu’à sa fermeture. Il rejoint ensuite le Prieuré de Saint André d’Embrun (Hautes Alpes), 1981-1984, puis celui de Noailles (Oise) et il vient à La Houssaye en 1985 pour accompagner le Frère Jean-Paul Cornet durant son cancer jusqu’à la mort… En 1987 il participe à la fondation du prieuré de Pommier-de-Beaurepaire avec deux Frères et trois Dominicaines Missionnaires des Campagnes

Durant cette période, il partage la vie des ouvriers ruraux, avec de longues journées de chauffeurs routiers et participe à diverses rencontres en ce sens.

Le service fraternel de l’accompagnement du frère malade le conduit en 1997 auprès d’autres frères et en divers lieux (Henri Isambert, Dominique Champault, René jean-Marmou (chez les Sœurs de la Providence à Sens) puis à Brienon en 2009 et à Cheroy (2017) où il accompagne le frère Yves Tulasne jusqu’à la mort. Il entre dans une période de dépouillement jusqu’à ce dimanche 5 mars 2022.

 

 

Homélie aux obsèques du frère Paul Morel à La Houssaye, le 11 Mars 2022
à partir de 1 Jn 3, 14.16-20 – Jn 6, 37-40 et le texte : « II restera de toi »

Véronique, Béatrice et Laurent, les nièces et le neveu de frère Paul, vous tous, frères et sœurs réunis dans cette église, la mort nous oblige à regarder en face le sens même de notre propre mort.

Il restera de nous ce que nous avons donné, ce que nous avons offert, ce que nous avons semé. Bien sûr en préparant ce petit mot je faisais défiler dans mes souvenirs ce que j’avais vécu avec le frère Paul, en particulier, les années dans le département des Bouches-du-Rhône, à Peyrolles-en-Provence. Paul était très inséré dans le secteur où nous vivions.
En Congrégation, les Frères, nous aimons bien employer quelques expressions pour dire ce que nous sommes : « être avec », « faire corps », « être ferment »… « Proximité, volonté de partage de vie locale, travail, emploi, engagement dans les associations, service, souci de développement, présence aux blessés de la vie ... »
Parmi toutes ces expressions, je retiendrais, en ce qui concerne Paul, le temps où il était chauffeur de poids lourds dans une usine de Peyrolles qui découpait et transformait de la viande de porc, pour la livrer dans le département et les départements voisins. Ses journées et surtout ses nuits étaient bien remplies quand il devait livrer de la viande dans les rues de Marseille ou de Gap, dans les Hautes-Alpes. Il se plaisait à dire que sa chapelle était la cabine de son camion. Se retrouver tous ensemble en communauté était un peu compliqué. Mais, à la suite du Christ, il avait le souci d’insérer ses diverses activités, au travail comme dans l’animation d’une équipe de foot du village, au cœur même de la vie des hommes. En effet, comme le dit un numéro de notre règle de vie : « Nous tenons ces insertions professionnelles, sociales, culturelles … comme essentielles à notre action apostolique. Elles sont une marque privilégiée de notre solidarité humaine, avec ce que cela comporte de poids de péché et de grâce. »

Que ce soit dans son travail professionnel à Peyrolles ou, plus tard, dans l’accompagnement des frères malades et en fin de vie, auprès desquels il avait choisi de vivre, au sein même de la maison de retraite à Sens ou à Chéroy dans l’Yonne, il a toujours eu à cœur le souci de la dignité des personnes. C’était son combat. Il trouvait qu’elles n’étaient jamais suffisamment prises en compte et considérées. Il s’est particulièrement intéressé à toutes les questions actuelles concernant la vieillesse et la fin de vie.
Oui, frère Paul, il reste de toi ces tranches de ton histoire. Aux yeux de Dieu, nous avons chacun et chacune de nous, du prix, quelle que soit, ou qu’ait pu être notre vie, avec nos fragilités et nos richesses, avec nos souffrances aussi, l’isolement, la difficulté de pouvoir échanger une parole.
Indépendamment des œuvres qui jalonnent notre vie, indépendamment de nos mérites, le Seigneur regarde notre cœur. Il n’est pas venu pour nous juger. St Jean dans son évangile à ces mots très forts : « Parce que nous aimons nos frères, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie. » Jésus est venu pour que nous vivions. Voici la grande nouvelle, la seule capable de faire naître en nous l’espérance : Dieu est Père. Il est bon. Sur sa bonté se fonde notre espérance. Il nous donne son Fils pour que nous vivions à jamais.
Jésus s’adressait à la foule en disant que : « la volonté de Celui qui m’a envoyé est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’ a donné, mais que je les ressuscite au dernier jour. »

Le verset du psaume 62, sur le faire-part du décès du frère Paul, illustre bien un aspect de sa foi dans la dernière période de sa vie : « Dans ma nuit, Seigneur, je me souviens de toi … Oui, tu es venu à mon secours … De toutes leurs angoisses, tu délivres les justes. » Paul était angoissé, à la recherche de la paix intérieure. Les derniers jours il souffrait de sa colonne vertébrale, il ne s’alimentait presque plus et avait du mal à parler. Un frère lui a proposé de prier avec lui, aussitôt il a fait un signe de croix. Dans l’un de ses courriers daté du mois d’Avril 2021, il écrivait : « Je relève la tête et regarde quelqu’un là-haut sur une croix qui se retourne et s’apprête à me dire malicieusement : Tu veux prendre ma place ? »
Notre vie commence ici-bas pour s’épanouir dans l’éternité. La mort conduit à la plénitude de Dieu. Si notre cœur n’est pas tout à fait prêt, nulle crainte, nous dit St Jean, car « Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses. » Dieu nous a aimés dès avant la création du monde. Il nous aime, au-delà de notre mort, et nous promet la vie éternelle. Tout Carême finit par l’Exultet !
Frère Paul, il reste de toi ce que tu as vécu, ce que tu as peiné, ce que tu as donné, ce que tu as prié. Tu es connu et reconnu de Dieu par ton nom. Tu as été voulu par lui, par amour et pour aimer.
Toute ta vie humaine qui est une aventure, comme chacune de nos vies, s’ouvre maintenant sur la rencontre éclatante de lumière, le face à face avec ton Seigneur, le Dieu de la Vie, le Dieu de toute Tendresse et de la Paix véritable !

Frère Jacques Tivoli

 Louis, le moment du dernier adieu est arrivé…
Tu auras marqué à ta façon chacun d’entre nous…
Louis, c’était une force : la force de ta voix qui résonnera en nous pour l'éternité. Cette voix
forte qui nous a appelés, interpellés, qui nous a secoués quand il le fallait, cette voix forte
qui nous rappelait les messages du Christ et nous poussait à nous dépasser…
Louis, c’était le marcheur de Dieu… combien de kilomètres parcourus le bâton à la main sur les
chemins du Berry, de Vendée, du Tarn et Garonne, du massif central, d’Ile de France et de
Lourdes… Avec à chaque fois la joie de la rencontre de l’autre, à commencer par celle des plus
faibles et nécessiteux...
Louis, c’était une manière de vivre et de propager la foi, quitte à ébranler les habitudes et les
certitudes : tu t'appuyais sur les choses les plus simples, tu voyais ce qu'il y a de plus beau en
elles, et chacune te servait à propager la parole du Christ. Tu aimais à utiliser les symboles
pour l’illustrer… Jusqu’à amener un voilier, une fontaine ou faire briller une étoile géante dans
l’église de Châteaumeillant. Un pied dans le monde, un pied dans l’Eglise, tu as semé des
graines de foi, d’espérance et de charité partout où tu es passé.
Louis c’était apprécier et savourer la simplicité… Celle d’un repas improvisé tiré du sac … La
chaleur d’un feu de bois, de la méditation devant sa lumière apaisante… Le bonheur d’une
baignade par un beau jour d’été... La beauté de la contemplation de la nature qui t’a inspiré
tant d’homélies…
Louis c’était la joie, la joie de l’amitié, de l’accueil et de la rencontre, la joie d’une tablée
entouré de ceux que tu aimais, la joie d’un verre levé, et la joie vibrante des chansons que tu
aimais tant entonner, et de tes éclats de rire, qui résonnent encore en nous…
Louis, c’était l’écoute et l’accompagnement : la patience de l’écoute, la pertinence et la
justesse des conseils, le soutien dans les moments difficiles, et un roc sur lequel s’appuyer
pour affronter ses épreuves…
Louis, tu nous as tant apporté qu’il y aura pour toujours une part de toi qui vivra en chacun de
nous.
Maintenant, Louis, notre frère notre ami, notre compagnon de route, sur cette nouvelle étape
qui s’ouvre à toi…à Dieu va…

Homélie du fr Jean-Louis Lejay

Rm 8, 31, 35.37-39 ; Mt 25,31

 

Frère Louis était un fan de Jean-Claude Gianadda. Il y a un chant, qu’il aimait souvent fredonné et faire apprendre. Ses paroles peuvent nous  aider à rendre compte de ce qui animait sa vie :

Jésus, me voici devant Toi, tout simplement dans le silence

Rien n’est plus important pour moi, que d’habiter en ta présence…

Avec des projets fous ou dangereux, un cœur qui  recherche un rivage…

Avec l’orage ou le ciel bleu, avec ce monde et ses naufrages,

Ceux qui te prient ou bien tous ceux qui restent sourds à ton message.

Quand viendra-t-il  ton jour mon Dieu où j’apercevrai ton visage ?

Tu seras là, c’est merveilleux, les bras ouverts sur mon passage.

Nous pouvons aligner des dates et des étapes, nous pouvons difficilement pénétrer profondément le mystère d’une personne et de sa relation à Dieu et aux autres. L’histoire d’un homme, d’un baptisé, d’un religieux, d’un diacre peut-elle se résumer dans ce qu’il nous est donné de voir, d’interpréter, à travers joies et souffrances, à travers les forces qui le recentrent et celles qui le dispersent, à travers fragilités, limites, faiblesses et qualités ?

Nous connaissons plusieurs Louis, selon les hauts et les bas dus, en grande partie à l’épreuve de santé, surtout ces vingt dernières années :

-Le missionnaire, toujours dehors ou prêt à repartir, aux rencontres et cheminements étonnants, l’excessif…à l’affût pour partager sa foi et ses convictions ; l’ingérable ; le créatif, sensible aux symboles (l’eau, la terre, le caillou, les plantes) qu’il ne manquait pas d’utiliser dans les célébrations… Cela, quand le ciel était bleu, avec des projets fous ou dangereux, dit le chanteurHeureux  de rencontrer et d’accueillir les signes de fraternité manifestés à son égard.

-L’homme de foi et de prière, tout simplement dans le silence et la présence, de Jésus, selon l’expression du chanteur, relisant avec Lui ses projets et les visages inscrits dans son cœur ; souvent des blessées par les épreuves de leur vie… Vous êtes venus jusqu’à moi. Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait.

Temps de prière, en communion avec ceux qui te prient ou ceux qui restent sourds à ton message, comme dit le chant, inquiet devant les changements de la société, surpris par les différences et les résistances dans les discussions. Enseignant et bout en train au répertoire inépuisable. Que d’histoires à raconter !

Mais Louis avait également ses propres interrogations, ses moments d‘orages et de nuit, habité depuis des années, par son état de santé et son évolution ; questionnement qui nous faisait souffrir et le faisait souffrir… un cœur qui recherche un rivage….avec une foi chevillée au corps.

Qui pourra nous séparer de  l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse ? Non car en tout cela nous sommes les grands vainqueurs, grâce à celui qui nous aimés. Dans une vie quotidienne jalonnée de morts et de résurrections tu chantes : un jour, mon Dieu, j’apercevrai ton visage. Tu seras là, c’est merveilleux, Les bras ouverts sur mon passage. Tu chantes : Alleluia !

Rassemblés pour exprimer notre confiance en la Parole du Christ nous osons croire que la vie éternelle est déjà présente en ceux qui donnent leur vie pour les autres :

Croyons qu’en Jésus-Christ, un jour, ceux qui ont soif de partage seront comblés.

Croyons qu’en Jésus-Christ, un jour, les blessés par la vie seront guéris, les angoissés seront libérés,  les accablés se relèveront.

Croyons qu’en Jésus-Christ, un jour, nous vivrons en vérité les uns les autres, nous reconnaitrons de quel amour Dieu nous aime, nous connaitrons la fraternité que nous avons cherchée.