VOCATION… MISSIONS…

ET L’AUJOURD’HUI DE DIEU

Interview de Fr. Jacques Dentin
par Fr. Jean-Yves Hélaine

"Le premier objectif de l’Année de la Vie consacrée… est de regarder le passé avec reconnaissance. Chacun de nos Instituts vient d’une riche histoire charismatique. À ses origines est présente l’action de Dieu qui, dans son Esprit, appelle certaines personnes à la suite rapprochée du Christ, à traduire l’Évangile dans une forme particulière de vie, à lire avec les yeux de la foi les signes des temps, à répondre avec créativité aux nécessités de l’Église. L’expérience des débuts a ensuite grandi et s’est développée…Raconter sa propre histoire est indispensable pour garder vivante l’identité, comme aussi pour raffermir l’unité de la famille et le sens d’appartenance de ses membres. Il ne s’agit pas de faire de l’archéologie ou de cultiver des nostalgies inutiles, mais bien plutôt de parcourir à nouveau le chemin des générations passées pour y cueillir l’étincelle inspiratrice, les idéaux, les projets, les valeurs qui les ont mues…"      (Pape François)      Année de la Vie consacrée (2015-2016)

JYH  Cette demande du pape François de regarder le passé avec reconnaissance m’a donné l’idée d’interviewer quelques Frères sur leur vocation et leur vécu dans la Congrégation...Frère Jacques, pourrais-tu d’abord évoquer ta vocation, comment tu en est arrivé à frapper à la porte du Noviciat ?

JD   Je pense d’abord que la vocation fondamentale c’est le baptême ! C’est à l’intérieur de cette vocation que j’ai trouvé… que je trouve…  mon chemin chez les Frères. Étant jeune, j’ai pris conscience d’un appel de Jésus sur ma vie. Bien sûr j’avais aussi des exemples dans ma famille. J’avais quand même 2 oncles prêtres et une grand-tante religieuse. Sans être très proches ils étaient quand même très présents, surtout ma grand-tante cloîtrée

.JYH  Comment vivais-tu ta vie chrétienne de jeune ?

JD  La JAC m’a beaucoup apporté dans mon désir d’être témoin de Jésus. La rencontre d’autres jeunes chrétiens qui ne pensaient pas forcément à la vie religieuse ou même pas du tout… mais qui étaient préoccupés de témoigner du Royaume de Dieu…

JYH Comme les Jocistes qui chantaient : « Nous referons chrétiens nos Frères » ?

JD   Oui ! Il y avait un terreau chrétien surtout dans ma famille. Ma famille était chrétienne mais dans un univers qui ne l’était pas. Le Vimeu (nom de la région) était « déchristianisé » comme on disait à l’époque : on parlait même du « Vimeu rouge ». La Somme a toujours été en avance au niveau de l’Action Catholique ; il y avait des prêtres qui sortaient du Séminaire (presque de mon âge) avec un grand esprit missionnaire..

.JYH  Le contexte familial, les oncles prêtres, la grand-tante religieuse, la JAC avec un esprit missionnaire très fort…

JD  Oui, c’est dans ce terreau que s’est posée pour moi la question d’être prêtre, puis d’être Frère Missionnaire des Campagnes. Au début je pensais uniquement « être prêtre » puisque les  exemples que j’avais c’était mes oncles (prêtres diocésains). Ce n’est pas d’abord la vie religieuse qui m’a parlé, qui m’a appelé…
J’avais été dans des écoles chrétiennes, chez les Jésuites puis chez les Frères des Écoles chrétiennes. J’ai beaucoup reçu des Frères des Écoles chrétiennes. Mais c’est surtout la JAC qui m’a donné le sens missionnaire.

JYH  Tu travaillais à la ferme comme aide familial, et à 27 ans, tu te décides à annoncer aux parents qui tu désires être prêtre ! Comment cela a-t-il été reçu ?

JD  Mon père était bien d’accord. (Il avait 2 frères qui étaient prêtres…) mais ma mère était contre…
En 1959, je suis donc parti, avec les encouragements de mon père et les réticences de ma mère, pour deux ans au « Séminaire de Vocations tardives » de St Jean-les-Deux-Jumeaux en Seine-et-Marne. Je ne pensais pas encore aux Frères ; j’avais pensé un peu à la Mission de France mais mon oncle Paul Dentin m’avait déconseillé…Pierre Dentin, son frère, m’aurait poussé davantage…(Pierre éditait des documents pour les aumôneries de Lycée ; Paul avait fondé les Auxiliaires du clergé). Pour être prêtre il fallait obligatoirement à l’époque connaître le latin et faire une remise à jour niveau bac. Je suis donc parti 2 ans à ce Séminaire qu’on appellera plus tard « Séminaire d’aînés ».
Le Père Epagneul, étant jeune prêtre, avait été « prêté » par le diocèse de Paris quelques années comme économe et professeur à ce Séminaire. Le Père connaissait très bien mon oncle Paul. C’est par lui que j’ai entendu parler des Frères Missionnaires des Campagnes... Plusieurs FMC (dont le Fr Léon Taverdet) étaient anciens de ce Séminaire et y venaient de temps en temps... J’ai ainsi mûri mon projet de devenir moi aussi Frère Missionnaire des Campagnes, car je voulais une vie religieuse.

JYH  Ta vocation… orientée vers la vie religieuse communautaire, le monde rural, la mission, la prière…

JD  Oui, et en 1961… je rentre au Noviciat des FMC à La Croix-sur-Ourcq, avec le Frère Robert Naret comme Maître des Novices. (Le Fr Léon Taverdet venait d’être élu Prieur général).

JYH  Tu as bien posé les bases de ta vocation…On ne va pas pouvoir évoquer toutes les étapes que tu as vécues… Mais qu’est-ce que tu mettrais en premier dans ta vie de religieux-missionnaire ?

JD  J’ai bien vécu le Noviciat. Ça me plaisait cette vie où la prière avait quand même une  grande place… On n’était pas très nombreux, on était proches les uns des autres… beaucoup de chaleur humaine…

JYH  Après le Noviciat et tes études théologiques, qu’est-ce qui a été le plus marquant, le plus déterminant dans tes engagements missionnaires ?

JD  Le fait que j’ai été Maître des Novices ça a polarisé ma formation, mes engagements…
J’ai été ordonné en 68 et j’ai été nommé aussitôt à La Croix-sur-Ourcq, chargé du Noviciat. ! On m’a envoyé à l’Institut Catholique de Paris pour étudier l’histoire des Ordres religieux. J’ai donc suivi des cours sur la vie religieuse, d’autres sur la foi en Dieu dans le contexte du monde moderne… (en faisant l’aller-retour depuis l’Aisne).
Ces cours m’ont beaucoup aidé par la suite… Au bout de 2 ans, le Noviciat a été transféré à La Houssaye où je suis resté encore deux ans. A La Croix j’étais engagé aussi dans des équipes CMR. Le Mouvement avait été beaucoup développé par le fr Robert Naret. De ces 4 années où j’ai été Maître des Novices, il reste 2 Frères (en mission au Brésil). Mais je suis toujours en lien avec ceux qui ont passé un temps au Noviciat et qui sont repartis dans la vie laïque.

JYH  La Croix sur Ourcq… La Houssaye…   Étape suivante ?…

JD  Lorris, le Loiret avec le service d’un grand secteur paroissial pendant 8 ans…

JYH   Vous étiez en force à l’époque ?
JD  Oui et avec des Frères au travail professionnel…

JYH   Comme beaucoup d’entre nous, tu as donc fait le tour de France... 8 ans à Lorris et ensuite 9 ans à Ille-sur-Têt ? Qu’est ce que tu retiens de missions et de régions si différentes, l’Aisne, le Loiret, Les Pyrénées Orientales ?

JD   Ce qui m’a beaucoup marqué dans  les Pyrénées Orientales c’est la culture catalane… Une tout autre culture que la mienne… J’en appréciais la richesse… Je me suis même mis à danser la sardane ! J’ai lié des amitiés qui durent encore aujourd’hui ; on continue à correspondre…
Après Ille-sur-Têt, je suis allé au Moulin de l’Oulme (Gard). Là c’était l’insertion dans un milieu culturel différent :  les néo-ruraux. C’était la deuxième équipe de Frères.
On n’avait aucun ministère paroissial.

JYH  C’était quand même du chaud et du froid ? Entre les secteurs paroissiaux de Lorris ou d’Ille-sur-Têt et le Moulin de l’Oulme où tu ne faisais pas un seul baptême ni un seul enterrement … il fallait s’adapter !
Il y avait quand même un fondamental ?

JD   Le fondamental c’est la vie communautaire et la vie de prière.
J’avais aussi un ministère mais autre que le paroissial. Ce n’est pas évident quand même de s’y retrouver.
Au Moulin de l’Oulme j’avais une certaine autonomie au niveau élevages, petits élevages !! Des poules et des lapins. Ça me convenait bien dans ce contexte là. Et ça nous aidait bien à vivre quand même…

JYH  Les vrais œufs du Frère Jacques, ça plaisait aux néo-ruraux !!    Le miel ?

JD  Je n’ai pas osé faire de ruches ! Mais on avait un beau jardin…

JYH   C’est très intéressant mais on n’a pas fini le panorama ? Le Moulin, combien de temps ?

JD  Je suis resté 6 ans je crois… puis j’ai été envoyé à La Houssaye pour l’accueil et le jardin.

JYH   Il y avait encore l’énorme jardin du Frère André Romary ? C’est toi qui as pris sa succession…
JD   Oui mais je  n’avais pas son efficacité au travail !
Après La Houssaye, ça a été Boulogne-sur-Gesse pendant 6 ou 7 ans, avec un grand secteur paroissial assez dynamique… Les Frères avaient marqué ce secteur…Par leur travail salarié, des Frères comme le fr Yves-Henri avaient donné un autre visage de la vie religieuse…
Et de Boulogne enfin je suis venu ici à Brienon en 2009, d’abord au Prieuré puis à l’EHPAD.

JYH  Quand tu relis ce parcours de mission rurale en France pendant presque 50 ans, quelle synthèse pourrais-tu en tirer ? C’est sûr que le contexte n’est plus du tout le même depuis ta jeunesse à la JAC…

JD  Ce qui demeure c’est la relation personnelle dans la foi et dans la prière… Ça m’a toujours nourri.

JYH  Ça a été pour toi l’arête fondamentale, quelque soit la mission…

JD  Après, tout devient possible… A travers tout ça, j’ai créé des liens humains profonds… par exemple avec les foyers du CMR, avec les ouvriers ruraux…

JYH  Tu restes en relation ?

JD   Oui, avec presque tous, même si maintenant j’ai un peu de mal à écrire… Je suis par exemple toujours en lien avec la famille chez qui j’ai fait un stage alors que j’étais étudiant…

JYH  Avec ces changements, les changements de travail, de ministère, de lieu, de culture…comment vis-tu une continuité ?

JD   Par les relations que je garde… et par une certaine spiritualité…
Je le dois à la Congrégation…(J’ai eu la chance d’aller à l’Institut Catholique pour étudier l’histoire de la spiritualité).

JYH   Comme dit notre François, tu « relis ton passé avec reconnaissance »…

JD   Oui, avec une profonde reconnaissance, d’autant que le terme approche ! « Nul ne sait ni le jour ni l’heure » mais les années sont là. C’est un soutien de savoir que Quelqu’un m’attend, que Jésus m’attend… C’est lié à la foi que j’ai reçue quand même de ma famille…

JYH   François parle aussi du présent dans son message aux consacrés : vivre le présent avec passion…

JD   J’aime beaucoup cette expression « l’Aujourd’hui de Dieu ». Tout ce qui est relation humaine, de respect… ça n’a rien perdu de son importance… qu’on soit malade,  cancéreux, on peut toujours vivre ça !Le vivre avec les gens qui sont là, ce n’est pas toujours évident. Ça demande d’accepter les autres dans leur qualité humaine…
(une personne du service vient remettre du linge dans l’armoire pendant l’interview)
Les gens qui travaillent ici sont attentifs aux personnes âgées : elles sont patientes et dévouées… Elles ont une vie de famille et elles ont leur travail ici, mais ce n’est pas n’importe quel métier !

Interview de Fr Jacques Dentin
par Fr Jean-Yves Hélaine     le 23 janvier 2016

Jacques Dentin 39021932 - 2016

Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu
(Jésus à Marie-Madeleine dans  St Jean 20,11-18)

Frère Jacques Dentin est entré dans la lumière de Dieu pour toujours, le mercredi 23 mars 2016. Il était à la résidence Saint Loup de Brienon depuis 2009.

Les obsèques ont été célébrées le Mardi 29 mars à 10 h 30
à l’église de Brienon (89)
Il est inhumé au cimetière de La Houssaye en Brie (77).

Photo : devant l’église de son baptême à Bourseville (80)

 

Témoignage de Marie-Paule et Daniel Leroy

Le souvenir que Daniel et moi voulons garder de Frère Roger, c’est son énergie, son besoin d’entreprendre, son besoin d’agir.
Quand il est arrivé à Lorris il revenait du Togo où il avait voulu apporter des moyens de communication aux populations en construisant des ponts. Il y avait exercé des fonctions de véritable architecte et de chef d’entreprise.
A Lorris Roger animait un groupe de catéchisme et s’il aimait éveiller la Foi chez les enfants, il aimait aussi accompagner les plus grands en les emmenant dans des randonnées à vélo, où les jeunes pouvaient se défouler et se laisser interroger par lui.
Son passage au Togo l’a rendu sensible aux actions du CCFD et ensemble nous avons animé plusieurs soirées bol de riz avec des débats. Chaque année nous découvrions un nouveau pays, une nouvelle action.
A cette époque-là il avait accompagné notre équipe CMR du secteur, nous avons vécu de bons moments de rencontre et de partage.
Je veux garder aussi de Roger toute l’attention et la disponibilité qu’il avait pour sa maman. Pour rester proche de sa maman malade il a différé son retour au Togo.

Roger aimait sa Giettaz, la Giet comme il disait. Quel bonheur pour lui d’y retourner, de retrouver sa maman, la famille, et d’effectuer plusieurs marches en montagne. Il devait y mettre de l’énergie !!!
Nous voulons aussi rappeler ses rires quand il racontait ses exploits et de son plaisir à venir partager quelques parties de belote. Même à la belote distribution de cartes et jeu étaient dynamiques. Ses visites à l’improviste seul, avec un frère ou des amis de passage, c’était sa façon de garder le lien.

A son 2ème retour du Togo, alors qu’il avait pris en charge le secteur paroissial de Bellegarde, il a aussi accompagné l’équipe de préparation au mariage et à nouveau nous avons eu le bonheur de travailler avec lui.

De Roger, avec Daniel, nous voulons nous souvenir de son énergie, de sa passion pour le monde rural dont il était issu, de son attention aux hommes, de sa sensibilité. Sa Foi était inébranlable solide comme un roc, comme sa Giet.

Marie-Paule Leroy

 

Témoignage de Michel Meunier, prêtre

J'ai connu le frère Roger au moment où il arrivait dans le doyenné du Gâtinais-Sud  pour son premier séjour. En 1986 il lui avait été confié la responsabilité du groupement paroissial de Lorris.

Je me contenterai de trois flashes  :
1. Ce que je retiens en premier : Roger était un religieux... je ne vous apprends rien... mais c'est essentiel! Il était profondément relié à la communauté des Frères Missionnaires des campagnes avec le souci de témoigner de la Bonne Nouvelle à travers la prière, la vie fraternelle et le service des  hommes et des femmes. Avant d'être le curé de Lorris , il était frère des campagnes.
2. La particularité qu''il apportait c'était son expérience pastorale en Afrique qui l'avait profondément marqué et qui nous ouvrait à d'autres horizons.
3. Dans le souci des Frères d'être présents à toute la population, Roger s'était rendu proche des familles marocaines, nombreuses à cette époque. Plus spécialement il était arrivé à provoquer des rencontres entre jeunes marocains et jeunes français.

Merci frère Roger !

Frère Jacques a écrit ses souvenirs d’enfance et de jeunesse…

Son frère, René DENTIN, en a lu quelques extraits à l’assemblée des obsèques…

Au début de ce mois, lors d’une visite où Jacques avait encore une parole, mais très affaiblie, il évoquait un nom aimé de notre jeunesse. Je lui ai dit « tu replonges dans ton enfance », il m’a répondu « Elle ne m’a jamais quitté ».C’est cette enfance que je vais évoquer avec les mots de ses souvenirs et les noms des êtres qui lui étaient si chers.

Il a écrit :

Avant même ma naissance, j’ai appris que j’avais été aimé, désiré et confié à Dieu.

Cousine Berthe, la marraine de maman, est liée à mes plus vieux souvenirs religieux, sinon mes premières émotions spirituelles. Je l’accompagnais le soir, lorsqu’elle se rendait en visite au Saint-Sacrement. Elle s’arrêtait au 1er banc du fond de l’église, et de là, je voyais briller la petite lampe rouge du sanctuaire. Tout cela m’ouvrait à un univers mystérieux qui me fascinait et je pense l’avoir accompagnée sans réserve dans cette dévotion quotidienne.

Marraine, la tante de maman, a été pour moi la vraie grand-mère, toujours présente, attentive, ne me refusant rien ou extrêmement rarement. C’est à elle que je dois l’essentiel de mon initiation à la prière personnelle. Le soir Marraine nous couchait et elle se mettait à genoux au bord du lit pour dire avec nous « Notre Père », « Je vous salue Marie », « les Actes » .

Mon grand-père, « Papa Médée », avait fait la guerre 14-18. A 90 ans, il en faisait encore des cauchemars de cette folie suicidaire de l’Europe. Il avait les valeurs d’honnêteté, de droiture, de courage, du travail fait avec amour et intelligence sans oublier une foi commune, sincère et solidement enracinée dans la vie. Il n’aurait pas supporté la moindre malhonnêteté. Il avait un grand amour de la terre, une vraie joie à bien la travailler. J’oserais penser qu’il me l’a transmis et je lui en suis profondément reconnaissant entre autres choses.

Enfant, c’est avec Maria que je vivais tous mes loisirs à la ferme. Comme j’aimais passionnément les bêtes, le jeudi j’allais avec elle « gratter » l’étable quand elle sortait le fumier, je l’accompagnais pour conduire les vaches en pâture, elle m’a appris à jardiner, à semer, à repiquer, en suivant les saisons. J’allais traire avec elle et dès 8 ans, elle me réservait les vaches les plus faciles et les plus douces. Elle avait une foi profonde : cet échange avec elle a duré 72 ans.

La 1ère fois où j’ai quitté Bourseville, la maison familiale et tout l’environnement rural dans lequel j’ai grandi, ce fut pour « aller en pension » chez les jésuites à la Providence, puis à Sailly-Flibeaucourt avec les « Frères des Écoles Chrétiennes ». J’ai eu beaucoup de mal à m’habituer à cette vie collective. J’ai un bon souvenir du travail scolaire demandé et sans m’en rendre compte j’avais été bien préparé par les instituteurs de Bourseville, Mr Leroy, père de Maryse, qui sera déporté en 1944 et Mme Dufrien.

Après le brevet, j’avais 16 ans, le retour à Bourseville s’est vécu dans un enthousiasme fou. J’étais tellement heureux de commencer à travailler sérieusement et de prendre ma place à la ferme surtout pour tout ce qui concernait l’élevage.

Le grand initiateur de mon engagement à la JAC fut Pierre Delabie, mon aîné de 4 ans et qui devint aussi un grand ami. D’emblée, il s’est situé dans une optique de responsabilité missionnaire : "Tu as beaucoup reçu au plan de la foi, durant tes années de formation dans l’école chrétienne, tu dois maintenant penser à partager avec les autres"

Le congrès de la JAC à Paris fut le grand événement marquant de ma jeunesse. J’avais juste 18 ans, l’âge minimum requis. Il a duré 3 jours. Quelle ambiance partout dans les lieux de Paris où nous nous retrouvions !, entre autres bien sûr le parc des princes archi-bondé de jeunes enthousiastes, reconnaissables à leurs foulards, sinon aussi par leur origine provinciale.

Pour mon service militaire, Je pense avoir compris assez vite que si on ne voulait pas avoir trop d’ennuis avec les gradés, il valait mieux ne pas se faire remarquer ni pour les horaires, ni pour la tenue ; pas d’excès de zèle. A la fin du peloton, plusieurs ont été nommés «  sergent ». Je suis sorti « caporal-chef », avec la mention : « Bon élément, manque de dynamisme ». La constatation me semblait assez juste...

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N.B. : Je laisse ici les souvenirs de Jacques pour ajouter les miens…

Quand Jacques parle de son enthousiasme fou de commencer à travailler sérieusement après le brevet, ( il a oublié de préciser qu’il était le seul reçu des 14 candidats présentés par les Frères à la dernière mouture du BE en 1948), je peux en témoigner : je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi efficace, organisé, rapide dans son travail, sauf Maria et Papa Médée. Il assurait tout le service de l’élevage, la traite, l’affouragement, le nettoyage. Dès six heures le matin, on entendait les brocs de lait s’entrechoquer…

Avec les jeunes de la JAC, les préparations des fêtes de moisson, des coupes de la joie, toutes ces activités occupaient le peu de loisirs restant en prenant même beaucoup sur le temps de sommeil. Mais le lendemain matin, quelle que soit l’heure de son retour de réunion en vélo ou derrière la moto de Pierre Delabie, à six heures pile, la journée de travail recommençait au même rythme…

Sa foi était si profonde avec une attirance mystique que j’étais persuadé qu’il rentrerait dans la vie religieuse. Sa décision de reprendre ses études pour être prêtre coïncidait avec notre mariage. Jacques était si bien intégré et reconnu dans le monde paysan que la nouvelle marqua le village. Je revois le vétérinaire dire, un jour qu’il soignait une vache, Jacques tenant la patte arrière avec un bâton serrant une longe torsadée: « Eh bien, les Frères font une sacrée recrue ! » ; en me regardant, je voyais clairement qu’il pensait : " et vous, vous allez être dans une sacrée panade ! "

Les Frères missionnaires des campagnes sont devenus sa deuxième famille…