«Tonton René, ce matin, en regardant frissonner les fleurs du jardin au soleil levant, j'ai pensé à toi, parti vers l'au-delà... Tu venais de partir au Brésil, avec et pour tes frères, et d'un seul coup, tout bascule... Il faut nous séparer mais ce n'est pas nous quitter... Que ton départ soit à l'image d'une montagne que nous allons gravir ensemble : toi, par la face opposée, invisible, dans la lumière; nous de ce côté-ci, mais les uns et les autres guidés par la grâce et communiquant par la prière…»
Cet adieu émouvant, écrit par Laurence, une des nièces de Frère René, a été lu à la fin de la célébration, le samedi 22 avril 1989 après-midi, dans l'église de La Houssaye. Là, autour du cercueil couvert d'un simple bouquet de fleurs du Brésil, s'étaient rejoints une quarantaine de membres de sa famille, des Frères, des Sœurs et quelques amis pour partager une même prière dans la gravité mais aussi dans une commune et fraternelle espérance.
C'est le mardi précédent, à 14 heures (9 heures au Brésil), que l'annonce nous parvenait, bouleversante et irréelle, de la mort subite de Frère René Sourice, terrassé dans le courant de la nuit par une crise cardiaque foudroyante. La veille au soir, avec Frère Maurice Cœur et Frère Jean-Marie Fouquet, René avait fêté ses 56 ans chez les Frères Maristes qui les hébergent à Brasilia.
Né le 17 avril 1933 dans une famille de 7 enfants, au Voide (Maine-et-Loire), il était entré chez les F.M.C. en mars i960 pour commencer son noviciat. Après sa Profession perpétuelle le 19 avril 1965, René est ordonné prêtre le 27 mars 1966 et il passe dix années à Pibrac. Il est ensuite envoyé au Portugal où il va rester onze ans. Puis c'est la longue préparation et l'attente du départ pour le Brésil où le Chapitre de 1985 avait projeté l'envoi d'une communauté.
La nuit du 22 février 1989, dans l'avion qui les menait enfin vers Rio de Janeiro, Frère René écrivait : «Ce n'est plus un rêve... nous tournons le dos à un monde familier pour en trouver un autre qu'il nous faudra découvrir. Nous ressentons que nous sommes en train de vivre un moment important pour la Congrégation. Nous nous sentons comme portés par elle dans cet envoi et nous mesurons toute l'importance de notre mission auprès des ruraux du Nordeste».
Le choc de cette mort nous bouleverse. Pourquoi mourir avant de commencer une mission si importante ? «La mission est commencée» disaient Maurice et Jean-Marie au téléphone. Et, à La Houssaye, tout au long de la célébration, cette phrase de l'Évangile revenait comme un refrain : «Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit» (Jean, 12, 24).
Oui, René, déjà tu veilles autrement aux premiers pas de notre communauté latino-américaine.
(Extrait de CHRONIQUE des FMC et SC - N° 167 - Juin 1989)
La précédente Chronique a rendu compte de l'A-Dieu au Frère René Sourice. Aujourd'hui elle évoque le Frère Julien Bruand. En moins de trois mois la Congrégation vit l'épreuve de deux morts subites qui touchent particulièrement le Prieuré de Lagameças. C'est une taille douloureuse pour nous et pour la mission.
Né le 7 décembre 1940 dans une famille rurale à Athée (Mayenne), Frère Julien est entré chez les FMC en 1965 après avoir passé quatre ans au grand séminaire de Laval. Après sa Profession perpétuelle en 1970, il vit dix ans dans le diocèse de Soissons, aux Prieurés de La Croix et de Charly, où il travaille en usine, participe à l'alphabétisation des émigrés portugais, à la vie syndicale et à des organisations qui agissent dans le sens de la non-violence.
Il est ensuite envoyé au Portugal. Il s'était porté volontaire dès la fondation du Prieuré de Lagameças. Il garde un travail d'ouvrier, poursuit des engagements avec des organismes qui militent pour la paix et l'information sur les minorités et les peuples opprimés (Pax Christi). Il prend part à l'animation de groupes bibliques et à la préparation d'adultes au baptême. Il est accompagnateur du MAC (action catholique des enfants).
Ce sont des enfants, réunis avec lui pour la préparation d'un camp, qui donneront l'alerte au moment de son hémorragie cérébrale foudroyante. Il est mort le vendredi 7 juillet à l'hôpital de Lisbonne.
C'est vraiment le peuple de Dieu dans toute sa diversité qui s'est rassemblé dans une même communion dans l'église de Poçeirâo le mardi suivant pour exprimer à Dieu sa souffrance, son action de grâce et son espérance, ainsi que pour témoigner sa sympathie aux Frères Eugène, Pierre-Marc et Michel, et aux membres de sa famille, sa maman, son frère, ses deux sœurs et sa filleule.
Chacun a ressenti combien les Frères et les Sœurs sont du pays : « il faisait vraiment partie de nous ». Pauvres et riches, voisins et amis, religieux(ses) d'une dizaine de Congrégations, militants d'action catholique, de Pax Christi, paroissiens des divers villages environnants et de la zone, prêtres ouvriers, représentants de l'évêché, chrétiens de longue date et en cheminement, adultes récemment baptisés ou confirmés... le peuple de Dieu célèbre l'eucharistie. Il s'exprime avec des chants, des symboles, des paroles qui évoquent la paix, la justice, les peuples en quête de pain et de liberté, l'engagement du chrétien avec ses conséquences sociales, les vocations nécessaires pour la terre de l'Alentejo et tous les ruraux.
Les enfants resteront au plus près du cercueil. Les jeunes femmes baptisées dans la nuit de Pâques, que Frère Julien avait accompagnées dans leur cheminement, voudront porter elles-mêmes le cercueil.
Alors qu'il est entré dans une communion sans frontières, dans une vie sans limites, à la suite du Christ, son corps repose au cimetière de Poçeirâo, dans cette terre portugaise où il a voulu être témoin de la vie et de l'amour de Dieu pour chacun : «Ce que tu as fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que tu l'as fait». Devenu l'un d'entre eux, nous avons fait l'expérience que dans la maladie et la mort il ne nous appartenait plus.
Une célébration dans l'église de son village natal a réuni sa famille, ses amis de Mayenne, Frères et Sœurs, le 17 juillet.
«Qui sera notre accompagnateur ?» disent les jeunes du MAC. «Il faut regarder en avant, comme vous dites en français, avec courage», nous dit un prêtre portugais.
Que les vies données de nos deux Frères, René et Julien, soient semence pour la mission en rural, afin de pouvoir poursuivre jusqu'au bout l'œuvre commencée, comme nous y appelle une des dernières notes de Julien posées sur son bureau : «Le chemin qui descend à la source... C'est un chemin long et complexe et, de plus, rendu constamment précaire soit par la fragilité intrinsèque des desseins et des réalisations humaines, soit par les mutations des conditions externes extrêmement imprévisibles. Il faut cependant avoir le courage de se mettre en route et, lorsqu'on a fait quelques pas ou parcouru une partie du trajet, aller jusqu'au bout».
Extrait de CHRONIQUE des FMC et SC – N° 168 – Septembre 1969
Frère Robert est mort subitement le 19 novembre 1991.
Ses obsèques, présidées par Frère Léon Taverdet, évêque de Langres, ont été célébrées le 25 novembre dans l'église de La Houssaye, suivies de son inhumation dans le cimetière du village, où reposent maintenant avec lui, guettant la bienheureuse espérance de la résurrection, dix des seize Frères qui nous ont précédés.
Rappeler quelques traits de sa vie, quelques unes des convictions qui l'animaient c'est plus qu'évoquer des souvenirs, c'est commémorer, faire mémoire ensemble d'un Frère toujours vivant, en Dieu et en nous.
Frère Robert est mort comme il a vécu. Rapidement, craignant sans cesse de perdre un instant, toujours tendu vers quelque tâche à assumer, quelque avenir à scruter, à ouvrir. Ce mardi 19 novembre, ce fut pour la rencontre définitive de Celui à cause de qui il était souvent impatient, insatisfait, parfois inquiet et angoissé, toujours exigeant et passionné.
Il aimait le Conseil National de Pastorale Rurale dont il était membre depuis dix ans, un lieu qui symbolisait bien son attachement profond au monde rural, à son avenir, à son Eglise. C'est au cours d'une session de ce Conseil, à Paris, que Frère Robert s'est effondré, terrassé. Après une matinée de travail où il fut pleinement participant, à l'heure d'aller à table, il est mort brutalement, sans réussite de réanimation, malgré l'intervention des pompiers et du SAMU. Il y avait là des représentants des Mouvements d'Action Catholique Rurale, enfants, jeunes, adultes, des représentants des services d'Église, des prêtres, des religieux et religieuses en monde rural.
Il y avait avec lui trois autres Frères Missionnaires des Campagnes, Frère Léon Taverdet, Frère Jean-Louis Lejay et Frère Michel Yverneau.
Frère Robert est né en 1922 dans une famille d'agriculteurs de Seine-et-Marne, à Nangis, en pleine terre de Brie. A l’âge de 18 ans, sa scolarité est interrompue par l'occupation allemande et il travaille à la ferme paternelle.
Naissance d'une vocation
En 1941, un copain l'invite à une réunion de JAC (Jeunesses Agricole Chrétienne), « un aiguillage qui va changer toute ma vie », écrira-t-il plus tard. Il est entraîné assez vite à y prendre des responsabilités puisqu'en 1943 il est secrétaire fédéral. Un matin d'avril de cette année-là, un dominicain aumônier par intérim, le Père Épagneul, vient animer une récollection aux jacistes de Nangis. « Le Père m'expose en détail le projet d'une Congrégation au service des campagnes en vue de leur rechristianisation ; elle allierait une intense vie de prière et la mission. J'étais bien un peu étonné de cette présentation sous forme de monologue d'ailleurs. Je n 'avais rien dit de mon actuelle préoccupation spirituelle et le Père n'a sollicité aucune réaction ni manifesté un quelconque appel... et nous sommes partis en récollection. Cependant, j'y vis subitement une issue à une pénible recherche de vie religieuse (je songeais à la Trappe) en y alliant la récente découverte de l'apostolat avec la JAC. Une brève mais intense lumière m'éclairait. N'avais-je pas une impression d'apaisement chaleureux, quelque chose comme "ce cœur brûlant" des disciples d'Emmaus ? »
L'heure du choix
Après la déportation dans une poudrière allemande dans le cadre du Service du Travail Obligatoire, deux années de cauchemar, il reprend le travail des champs et les activités de la JAC avec, toujours, la recherche inquiète de sa vocation.
C'est au mois d'août 1946 qu'il gagne La Houssaye pour commencer son noviciat. Il lui avait fallu faire bien des ruptures, surmonter bien des doutes, vaincre bien des réticences. Avant de partir, écrit-il, « je décidais de "faire un tour de plaine ", revoir une dernière fois "les champs". Je fis le "grand tour" comme on disait, celui qui menait aux quatre coins de la ferme. Comme pour s'adresser un au-revoir entre amis qui vont se séparer à jamais : je quittais la terre... »
Il quittait la terre pour la retrouver, à travers les ruraux auxquels désormais il sera tout donné.
« Si vous saviez combien j'ai prié pour qu'il vienne nous rejoindre ». Révélant cette confidence que lui avait faite le Père Epagneul en parlant de Frère Robert, Frère Léon ajoutait : « J'ai cru comprendre que la venue dans la congrégation d'un fils de la terre, de la terre de Brie, d'un responsable JAC soulignerait à la fois l'orientation missionnaire de la nouvelle famille religieuse et le terreau qui l'a fait naître. »
Il accepta l'appel. Il livrera sa vie à Dieu pour les ruraux et aux ruraux pour Dieu. Il a donné un sens à sa vie et a permis à beaucoup de donner sens à la leur.
L'Action Catholique Rurale fut sa passion. Tout en menant de front ses tâches de congrégation, il sera constamment sur la brèche, au prix de rudes tiraillements d'horaires, de préoccupations dispersantes.^ Aux diocèses de Meaux, de Soissons, d'Évreux, son souci constant fut la création de nouvelles équipes en tous secteurs et en tous milieux.
Qui peut dire le nombre de visites, de rencontres, de réunions de sessions, de célébrations et donc aussi de kilomètres, de courrier et de comptes-rendus qu'il a pu faire pour être présent à la vie du monde, à la vie des ruraux et y découvrir la présence du Christ ?
Lui, le timide, le réservé, inquiet à la pensée de ce qu'il appelait ses insuffisances, il maîtrisait sa peur, ses craintes, en puisant force et lumière dans la Parole de Dieu et dans l'Eucharistie ■
Ces lignes utilisent en partie ce qui a été dit par Frère Michel Yverneau et par Frère Léon Taverdet pendant la célébration, ainsi que des notes de Frère Robert.
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UN « PÉRIPLE DÉROUTANT »
1946 : Tandis que Frère Robert entre chez les Frères Missionnaires des Campagnes, la présidente nationale de la JACF, Ghislaine Aubé, une autre briarde, se prépare à entreprendre avec quelques compagnes la fondation des Sœurs des Campagnes.
1948 : Frère Robert est envoyé avec cinq autres frères fonder le prieuré de Pibrac (Hte-Garonne) dont il est nommé prieur.
1952 : Il est ordonné prêtre. Au cours de sa première messe, l'une de ses sœurs, Anne-Marie, qui est entrée chez les Sœurs des Campagnes, fait ses premiers vœux.
Il est nommé sous-prieur de Saint-Sulpice (Oise), membre du Conseil de Congrégation (1953), puis prieur de La Houssaye. Il suit la « JAC de grande culture », travaille au lancement des équipes de foyers et des équipes patronales du CMR dont il deviendra aumônier national.
1959 : Frère Robert est maître des novices, charge qu'il occupera jusqu'en 1970 à La Croix-sur-Ourcq (Aisne).
1970 : Il est au Prieuré de Rozay-en-Brie (S. & M.) dont il devient prieur en 1973. Délégué à la pastorale rurale du diocèse de Meaux, membre du Conseil episcopal, il assure en même temps l'aumônerie diocésaine du CMR.
1981 : Frère Robert est nommé au prieuré de Canappeville (Eure) où il restera Jusqu'à sa mort. Il accepte le secrétariat de la Commission Episcopale du Monde Rural, devient aumônier diocésain du CMR, membre du conseil presbytéral de l'évêque d'Évreux et participe à l'accompagnement de secteurs ruraux sans prêtre résident.
Extrait de CHRONIQUE des FMC et SC - N° 178 - Mars 1992
Frère Charles Poisson nous a quittés le samedi 9 mai 1992.
Ce jour-là, il avait travaillé au jardin de la communauté. Il priait à la chapelle, seul. Nous l'avons retrouvé affaissé et sans vie.
Né à Vieillevigne, en Loire-Atlantique, il était entré chez les Frères Missionnaires des Campagnes en 1945 : la Congrégation venait d'être fondée deux ans auparavant par le Père Épagneul.
Nommé à Saint-Sulpice, dans l'Oise, chargé du jardin et des travaux manuels des Frères étudiants, Charles travaille aussi dans les fermes pour la moisson et l'épandage du fumier.
A Pibrac (Hte-Garonne), il plante des pêchers, participe à une coopérative pour le tabac, fait du catéchisme et anime la liturgie, en particulier les pèlerinages à Sainte Germaine.
A La Croix-sur-Ourcq (Aisne), il s'occupe du verger avec un soin jaloux et participe à l'animation de la paroisse de Rocourt-Saint-Martin.
A La Motte, dans la Drôme, il avait assuré la projection de films et s'était documenté sur le cinéma. Cette même curiosité l'avait poussé à participer, à 76 ans, à deux jours d'initiation à l'ordinateur, deux semaines avant sa mort.
Il était au Fossat (Ariège) depuis huit ans.Voici comment ceux qui l'ont fréquenté ont perçu sa vie : "Charles était un homme qui portait un formidable témoignage de foi. C'est souvent dans les gestes qu'il parlait. Tout ce qu'il faisait, il le faisait de bon cœur".Il aimait beaucoup la Vierge Marie. Il a beaucoup contribué à mettre en place des équipes du Rosaire. Il était régulier dans la prière, et fidèle. Toujours insatisfait, il s'était pacifié. Dans la dernière période de sa vie, il était heureux. Il savait se préparer intérieurement. Son témoignage : être tout simple.
Les adieux au Fossat ont eu lieu le mardi 12 mai. Nous étions nombreux : son frère, sa belle-sœur, sa sœur, deux neveux, une vingtaine de prêtres du diocèse de Pamiers, bien des gens des villages et beaucoup de Frères et Sœurs des Campagnes.Frère Michel Yverneau présidait l'eucharistie. Des gens du Troisième Age ont apporté un bouquet de fleurs, avec un tapis et un jeu de cartes, en souvenir des après-midi passés ensemble. Puis l'équipe du Rosaire a disposé sur le cercueil son chapelet et le Bulletin. Ses neveux ont déposé une lumière pour rappeler son baptême et l'espérance de la résurrection. Un jeune Frère de la communauté du Fossat a lu l'engagement de Frère Charles dans la vie religieuse FMC, le 2 octobre 1949, "jusqu'à la mort". Puis nous avons entendu l'Évangile du serviteur fidèle (Luc 12, 35).
Le lendemain, la messe d'enterrement était célébrée à La Houssaye (S & M) et Frère Charles était inhumé au cimetière du village, où il rejoignait d'autres Frères.Dans une cassette destinée aux Frères africains, il disait : "Voici ce qui nous unit : prière commune, eucharistie, bourse commune, partage de vie avec les gens du rural. Ensemble, nous essayons d'être des témoins de Jésus Christ et de l'Évangile".
Frère Rémi MANGEART et la communauté du Fossat (Ariège) ■
Extrait de CHRONIQUE des FMC et SC - N° 180 - Septembre 1992
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